"Il
faudrait réinventer l’histoire de la littérature à cause de Léo
Ferré" (Louis Aragon).
C’est
grâce à "C’est extra" l’album de reprises de Léo
Ferré (chroniqué dans ce magazine) et d’un très bon "L’opéra
du pauvre" par Gontard que l’on s’est intéressé à son
récent album "2029", et l’on s’est dit, voilà l’une
de ces "mauvaises graines" que le poète sema jadis au vent
de ses chansons, qui fleurirent des années durant à l’ombre des
guerres du bon grain et de l’ivraie, et dont les fruits mûrs
éclatent un à un sous un soleil souvent trop chaud, en ces temps de
misère capitaliste supérieure et de sentiments numériques
revisités.
"2029",
c’était une idée pour un disque ou un roman, un récit comme une
chronique sociale, qui aurait été écrite dans la boue des
fractures du siècle et d’un pays. Il n’y avait pas besoin de
grandes fresques, puisque tout était-là, sous nos yeux. Une ville,
Gontard-sur-Misère, ses habitants, sa mairie, son école, son
hôpital, et les faits divers qui s’étalent entre les pages du
Dauphiné Libéré, où un chanteur de variété vient puiser l’humus
de ses chansons.
Musique
un peu rock, décalée, bricolage parfois grinçant, comme un vieux
disque de fête foraine qu’on aurait oublié dans les décombres de
ce qui reste d’hier… ou d’aujourd’hui... Il y a du désespoir,
mais ça n’est pas triste et ça n’est pas lourd, il y a de la
révolte, une joie et un amour qui ne veulent pas s’éteindre, ça
prend au cœur et ça voudrait danser… On se laisse emporter… Et
parfois, les instruments nous accompagnent simplement, comme ils
accompagnent les personnages dans les films de Kusturica. Mais ce
n’est pas les Balkans, la France de 2029 !
Gontard enfin, c’est de la chanson française, dans le sens noble du
terme. C’est une écriture simple, efficace, qui n’hésite pas
entre la littérature et la poésie, et qui ne manque pas d’humour.
Sur fond de lutte des classes et de conscience sociale, il y a chez
Gontard le meilleur de ce que l’on pouvait trouver chez Noir
Désir ou chez Saez, on encore chez La Tordue ou Les Têtes Raides –
quand il y avait encore du cœur et des tripes dans la cohorte des
artistes dits de gauche. Avec peut-être quelque chose en plus, ou
une imposture en moins, allez savoir… Un mec qui n’aurait pas
"trois combats de retard sur le réel".