Des lendemains qui saignent

Grange Tardi Verney

par Francois Branchon le 12/04/2010

Note: 9.5    

Si nous vivions dans un pays civilisé (épris de civilités) où les marchands, cantonnés à leur juste place, étaient vaguement respectueux des créateurs, le dessinateur de BD Jacques Tardi aurait ces jours-ci sa juste place sous les feux de la rampe, fêté et remercié pour l'invention d'Adèle Blanc-Sec, le personnage indissociable de son œuvre. Las, sur aucun des plateaux télévisés, radios ni tabloïds inondés par le déversement médiatique lucbessonnien, de Tardi point. Gageons qu'ayant cédé ses droits à une telle usine à faire du pognon et à fabriquer des stars en toc (ici, une ex-miss météo de la chaine Canal Plus, programmée Dujardin à talons), Jacques Tardi ne devait pas non plus s'attendre à être de la fête. Qu'il se rassure, son nom n'a pas encore été cité. Et puis Tim Burton, il a invité Lewis Carroll lui, pour le lancement de son "Alice" ?? Ho hé hein bon !

Heureusement, Tardi a une autre actualité, la sienne.

On sait sa passion pour Paris et la première moitié du vingtième siècle (Adèle, Nestor Burma) mais aussi depuis quelques années pour la guerre de 14-18, avec les deux volumes de "Putain de guerre" (textes de Jean-Pierre Verney), "C'était la guerre des tranchées" ou "La der des der", autant de mises en dessins des horreurs des tranchées, puissantes, émouvantes, impressionnantes. Tardi y revient avec cette judicieuse collection du label "Juste une trace", mêlant images et sons. Sa femme Dominique Grange chante dix chansons consacrées à la guerre, Jean-Pierre Verney en situe le contexte et Tardi illustre le tout. Des photos inédites de Pierre-Elysée Grange, poilu et grand-père de Dominique, viennent ajouter à la douloureuse histoire du gigantesque abattoir.

Les chansons sont parfois connues, "Le déserteur" de Vian, "La butte rouge" et "La grève des mères" de Montéhus, l'anonyme "Chanson de Craonne" ou "Tu n'en reviendras pas" de Ferré d'après Aragon, parfois écrites par Dominique Grange elle-même, "Le ravin des enfants perdus". Accompagnée par Dominique Philippe Mira (piano), Nathanaël Malnoury (contrebasse), Benoist Raffin (batterie/percussions) et Olivier Manoury (bandonéon), DG chante ici sur un registre différent de l'habitude, à mi-chemin entre réalisme et emphase à la Ferré, même si le temps d'un excellent "Petits morts du mois d'août" elle retrouve les accents et sa verve mélodique militants (rappel aux temps héroïque de l'occupation de la Sorbonne).



DOMINIQUE GRANGE Au ravin des enfants perdus (2009) © Juste une Trace