Grayfolded

Grateful Dead & John Oswald

par Francois Branchon le 20/11/1999

Note: 8.0    

Répondant dans un bar new yorkais à la question de savoir si "Grayfolded" était ou non un album du Grateful Dead, Phil Lesh, bassiste et architecte du groupe, assure que non. Pourtant nombre de "Dead heads" affirment le contraire ! L'objet du débat : le projet fou de John Oswald, producteur-remixeur de son état, de réaliser un montage de vingt-cinq ans d'interprétation scénique du morceau "Dark star". Phil Lesh contacté accepte et fournit les bandes. L'expérience ne le surprend pas outre mesure. Après tout, son groupe a déjà procédé de la sorte en 1968 avec "That's for the other one" sur l'album "Anthem of the sun", résultat studio du mixage de plusieurs prises live, avec ajout de phasing, écho et variation de vitesse des bandes.

"Grayfolded", "l'œuvre" de John Oswald, en devient une meta-version de "Dark star", métaphore vivante d'un concert imaginaire d'un seul morceau qui durerait deux heures. Concert doublement ésotérique car "Dark star" n'est pas n'importe quel titre du répertoire du Grateful Dead. Plus qu'un morceau du Dead, il EST le Dead, portant en lui toute la mystique de Jerry Garcia. Composé en 1967 pendant les sessions de "Anthem of the sun", "Dark star" marque le début de la collaboration de Garcia avec le poète Robert Hunter qui va devenir le parolier attitré du groupe. Le morceau n'est pas inclus dans l'album et seule une version single est publiée. Mais il devient le cœur des concerts, un moment totalement à part, attendu de tous les adorateurs comme la "zone", espace magique, mystérieux et cosmique que peu de groupes peuvent prétendre atteindre et que le Grateful Dead, cherche à chacun de ses concerts à atteindre, sans forcément y parvenir.

John Oswald s'est beaucoup intéressé aux portions musicales entre les morceaux, quand les musiciens cherchent le "groove" suivant, la prochaine ligne directrice qui les emmènera vers une autre improvisation puis un nouveau morceau. "Dark star", qui selon les soirs dure entre cinq et cinquante-cinq minutes est toujours amené par une improvisation et, moment le plus intense, débouche toujours sur une suite : "St Stephen" est l'enchaînement le plus connu (consacré par l'album "Live Dead"), mais il y en a eu beaucoup d'autres, selon les époques... Ainsi conçu, "Grayfolded" s'articule ensuite comme le morceau de base : longue introduction fourmillante d'étoiles, arrivée des vocaux, montée, crescendo, explosion et récupération sur les hauteurs, avec des durées naturellement multipliées et des jonglages entre les multiples explosions, chaque concert n'ayant évidemment jamais ressemblé à un autre. Tout fonctionne bien dans l'ensemble - sauf peut-être une arrivée de cuivres inattendue - et l'illusion d'assister à un vrai concert est réelle, comme les lignes de guitare de Jerry Garcia et la basse de Phil Lesh, ver de terre en chaleur qui s'enroule autour, sonnent parfaitement bien et provoquent la même dépendance à la musique.

Les amateurs de Grateful Dead se régaleront de cette longue suite de deux heures. Bill Graham, le propriétaire des fameux Fillmore et Winterland disait du Dead qu'il n'était pas le meilleur groupe à faire ce qu'il faisait, mais simplement le seul à faire ce qu'il faisait. Voilà un disque qui pourrait presque le démentir.