The invisible hand

Greg Osby

par Sophie Chambon le 28/11/2000

Note: 8.0    

Album au titre mystérieux, "The invisible hand" révèle un univers tout en demi-teinte, dont il se dégage une certaine spiritualité, les titres se référant presque tous à l'hommage, à la dévotion envers les aînés; ceux qui nous guident de façon attentive et bienveillante, qui savent regarder par dessus notre épaule, "The watcher". On comprend que les musiciens ne soient pas convoqués ici par hasard : Greg Osby fait preuve d'une rare fidélité envers ses compagnons de route des débuts : Gary Thomas (sax ténor et flûte) et Terri Lyne Carrington (batterie). On sait aussi qu'il voue une admiration sans borne au guitariste Jim Hall et au pianiste Andrew Hill (musicien attitré de chez Blue Note). Quant au bassiste Scott Colley, il fait partie de l'équipage de choc du trio de Jim Hall avec le ténor Steve Potter. Il s'agit pour Osby d'explorer différentes configurations allant du duo avec Andrew Hill ("The watcher") au sextet de Jim Hall ("Sanctus") en passant par le trio ("Indiana"), le quartet ("Jitterburg waltz", "Tough love") et même, overdubs aidant, le septet (les nappes sombres de flûtes et clarinettes sur "Who needs forever", "Nature boy" et "With son"). Dès "Ashes", le premier titre d'Andrew Hill, s'installe une intimité feutrée, propice à l'introspection. L'heure n'est manifestement pas à la démonstration de virtuosité ni au conflit d'egos et les amateurs exclusifs de saxophonistes qui "déboulent" , de guitare-heros et de rythmiques survoltées devront passer leur chemin. Sans doute la présence de deux sages (Hill et Hall) a-t-elle favorisé l'écoute mutuelle et l'attention courtoise de chacun. Il est d'ailleurs parfois difficile de délimiter précisément les interventions, tant elles se fondent harmonieusement dans une écriture en contrepoint qui gomme toute aspérité, en entrelaçant délicatement les motifs. Andrew Hill élabore calmement ses phrases savamment désarticulées, aux intervalles parfois inhabituels, en parfaite empathie avec le jeu souple et inventif de Terri Lyne Carrington; Jim Hall se montre une fois de plus très élégant et inspiré, utilisant avec tact l'harmonizer, "Ashes", "Nature boy" (peut-être le sommet de l'album), avec un arrangement flûtes et clarinettes parfaitement réussi. Le maître d'oeuvre de ces séances, en si aimable compagnie, peut alors développer de longues phrases sinueuses, en toute sérénité : il étire et dilate le temps à loisir, dans des volutes alambiquées, qui entraînent dans un rêve éveillé, où des secrets seront peut être à jamais dévoilés. "The invisible hand" est un album subtil dans les arrangements, discrètement lyrique, presque retenu dans l'interprétation. Greg Osby livre là un disque à la beauté peu évidente, mais certaine.