Pussy cats

Harry Nilsson

par Jérôme Florio le 29/08/2004

Note: 7.0    

En 1974, le rock ne se porte pas très bien. Harry Nilsson et John Lennon non plus.

Le temps a passé depuis que les Beatles, au faîte de leur gloire, reconnaissaient en Nilsson un cousin d'Amérique – un mélodiste pop opportunément doublé d'un compagnon de beuverie. Il s'est même trouvé des fans pour le voir en remplaçant crédible à Paul Mc Cartney, après la séparation du groupe de Liverpool en 1969.
Pour l'heure, Harry Nilsson peine à écrire la suite à ses succès "Nilsson Schmilsson" (1971) et "Son of Schmilsson" (1972) ; le film "Son of Dracula" dont il a composé la bande-son, et dans lequel joue Ringo Starr, a été un bide. Et par-dessus le marché, son mariage part en lambeaux. De son côté, John Lennon est sous la pression des services de l'immigration américains, et les sessions d'enregistrement de son disque "Rock'n roll" virent à la réunion de psychopathes enfermés ensemble dans une même pièce – l'anecdote du producteur Phil Spector qui menace les musiciens de son flingue est passée à la postérité. Scellée autour d'une cuite monumentale, l'association Lennon-Nilsson a donc tout de la réunion de deux éclopés qui se prêtent chacun leur béquille.

Produit par l'ex-Beatle, "Pussy cats" peut apparaître comme une pause récréative : se retrouver autour d'une poignée de standards, et les massacrer respectueusement comme de sales gosses trentenaires. L'essentiel est de se mettre d'accord sur la marque du whiskey et de prendre du bon temps, le reste (la musique, le répertoire) étant carrément en roue libre. Ravagée par les abus, la voix de Nilsson ne gravit plus les octaves : c'est un croassement douloureux qui lui sort du gosier, avec des saignements provoqués par la rupture d'une corde vocale. Il le dissimulera à Lennon, de crainte que ce dernier ne suspende les enregistrements.
"Subterranean homesick blues" de Bob Dylan est très "sick" et pas très "blues" : la section rythmique Starr / Voorman appuie et remue comme un éléphant en pleine dépression nerveuse. "Many rivers to cross" (Jimmy Cliff) et "Save the last dance for me" (Doc Pomus / Mort Schuman) font les frais du son Lennonien, grassement imbibé d'écho comme un baba-au-rhum. Une curiosité dans les bonus : l'éthylique "The flying saucer song", dialogue de poivrots enregistré très à-propos le 1er avril 1974. Un bon aperçu de l'ambiance fêtarde dans le studio, par moments joyeuse comme sur "Loop de loop" (Ted Vann) et sa chorale insouciante, où Nilsson est le pauvre type qui vient tituber au bal de fin d'année de la High School.

Le savoir-faire d'Harry Nilsson rejaillit sobrement sur "Don't forget me", arrangée comme du Randy Newman, titube plus loin sur les percussions de Keith Moon (des Who) dans "All my life" ; puis le "Old forgotten soldier" harassé s'affale au soleil, bercé par le gazouillis des oiseaux. Dégrisé, la lucidité est douloureuse : "Black sails" évolue sur une mer noire, cherche un point d'ancrage au sein de sombres circonvolutions de cordes.

"Pussy Cats" capte quelque chose de l'air de son temps : "The dream is over". Aux chiottes le "flower-power", c'est la crise pétrolière et le Watergate, balayons le passé. Un "Rock around the clock" cacophonique referme le cercueil en plantant un dernier clou dans un cruel éclat de rire. Dernière étape avant le punk ?