Fugues

Innocent X

par Sophie Chambon le 22/03/2005

Note: 8.0    

Après une collection consacrée aux musiques du monde (Indigo", lancée en 1992), la maison Label Bleu crée Bleu Electric, en direction des musiques électroniques et expérimentales. Le label amiénois s'est attaché à une série de projets inclassables. La démarche du trio d’Innocent X ne pouvait que convenir à l’esthétique recherchée par le label des jazz qui s'est fait connaître avec des projets qui tirent vers l'électro, le rock, et même la pop.

Ce trio parisien de deux guitares et d’une batterie a vu le jour en mai 2000, lors d’une carte blanche offerte à Etienne Bonhomme (batterie) et Pierre Fruchard (guitare électrique) ouvrant un concert de Marc Ribot et des Cubanos Postizos au Trabendo. La rencontre avec Cédric Leboeuf (autre guitare électrique) sera décisive, fusionnant le travail de trois musiciens aux timbres bien particuliers. Ainsi commence le groupe qui n’a de "papal" que le nom, bien que la référence au peintre Francis Bacon l'accompagne dans la description d'une certaine réalité brute. Le second album "Fugues" alterne verbe (sur deux titres, les voix de la chanteuse France Cartigny et du poète sonore Anne-James Chaton) et instrumentaux, dans des climats "ambient" stylisés, minimalistes comme dans la reprise de "Aux marches du palais" qui débute l’album, sans abandonner totalement un rock décapé ("Outre monde") déjà présent sur le précédent album "Haut/bas" : riffs de guitares secs et sourds, batterie métronomique, constructions élaborées qui donnent à ces morceaux leur personnalité. Ainsi dans "Comédie", d'une voix monocorde, blanche, l'énumération d'une liste de courses sur un beat lancinant révèle le désespérant quotidien. Ou encore ce portrait réaliste d’un certain "Valade Martial", atterrant dans la brutalité des faits...

Innocent X s’aventure dans des territoires, des paysages nocturnes à la sonorité singulière, rendue homogène par un travail sur la masse sonore plus que sur le phrasé. Les musiciens se présentent eux même comme "trois laborantins finauds qui écoutent, qui jouissent du timbre de l'autre, le font rebondir pour arriver à l'épure, à une pâte homogène" sans volonté démonstrative : l’aspect instrumental est définitivement gommé. En dépit d'un goût pour l'obsessive ritournelle, et le ressassement sans arriver toutefois à l’écoeurement (tournerie de "Trois fois barbare"), le trio ne se laisse pas enfermer, développant des sinuosités et bifurcations sonores, cherchant par ailleurs à donner à sa palette de nouvelles couleurs d’un post-rock cherchant du côté de la fugue… Jamais tout à fait là où on l’attendrait comme dans ce final apaisé qui résonne du bugle clair, annonçant la promesse de l’aube. Finalement même quand "Noir c’est noir, il reste l'espoir".