King Kong & Electric connection

Jean Luc Ponty

par Sophie Chambon le 02/10/2006

Note: 10.0    

Voici réédités les premiers albums américains de Jean Luc Ponty, le plus célèbre violoniste français des années soixante et soixante dix, après Stéphane Grapelli. Les notes de pochette de l'époque, dithyrambiques, exaltent ce "génie" qui vint au jazz presque par hasard (encouragé tout de même par le "patron" Grapelli), poussé par nécessité intérieure. Il fut aussi porté par le sens de l'histoire musicale : né en 1942, malgré une belle formation classique et de nombreux prix, un passage aux concerts Lamoureux, il se mit à écouter passionnément Coltrane, Miles ou Bud Powell, avant de faire grande impression à Antibes avec le groupe de Jeff Gilson en 1966 et de se produire au festival de Monterey un an plus tard.

Dans le premier album présenté par cette réédition, "Electric connexion", le jeune violoniste se joint au big band de Gérald Wilson et les arrangements permettent de pointer des qualités exceptionnelles qui le faisaient reconnaître immédiatement : un phrasé exceptionnellement agile, une grande souplesse à l'archet, une exécution brillante sur des tempos très soutenus, un sens du son inouï à l'époque. Tout n'est pas remarquable dans cette suite hybride de titres assemblés dans le goût de l'époque : si on laisse la version de "Scarborough Fair" (très vieille chanson anglaise et tube en 1968 via la reprise de Simon & Garfunkel pour le film "The graduate"), ou le thème de Dave Grusin "The name of the game", lui préférant la ballade délicieusement mélancolique "Forget" de Sebesky, est-il nécessaire de souligner l'énergie folle de ce "Summit soul" composé par Ponty lui-même ou du final dû à Ron Carter "Eighty one" ? Cet album nous fait entendre un pianiste encore inconnu, qui allait découvrir son style, George Duke… et qui permit au violoniste d'entrer dans l'univers de Frank Zappa.

Le Français ne pouvait qu'intéresser le génial guitariste : leurs routes se croisèrent dès 69, JL Ponty allait faire une apparition sur "It must be a camel", un des titres du mythique "Hot rats". Il est certain que Ponty et Zappa se découvrirent un intérêt réciproque dans leur mutuelle compréhension musicale. Frank Zappa travaillait sur les formes orchestrales, passionné de musique contemporaine. La culture classique et le goût marqué pour la composition de JL Ponty allaient dans la même direction. Le violoniste pensait peut-être s'implanter en terre américaine en enregistrant un hommage à Zappa avec "King Kong". Cet album restitue l'univers bizarre du musicien inclassable qui signe cinq compositions n'en laissant qu'une à Ponty ( "How would you like to have a head like that ?") où, grand seigneur, il lui offre tout de même un superbe solo de guitare. Mis en valeur par le talent du violoniste, les titres que tous les fans du moustachu connaissent bien, "King Kong", "Idiot bastard son", sont éclairés de ses interventions particulièrement brillantes et libres et "Twenty small cigars" est à cet égard remarquable.

Leonard Feather souligne, toujours dans les notes de pochette, que personne n'avait marqué l'histoire du violon jazz depuis Ray Nance avec le Duke et on veut bien le croire. Le style de Ponty est non seulement vif et brillant (le terme de virtuose n'est pas trop fort) mais sa maîtrise de l'électrification fit fureur à l'époque pour toute une génération qui s'ouvrait au rock. Il sonne enfin étonnamment proche des anches (il savait aussi jouer du saxophone) et ses solos l'apparentent parfois plus à un souffleur qu'à un "fiddler".

Jamais peut-être n'avait il été aussi inspiré que dans cet album exceptionnel, unique dans la discographie pourtant riche du violoniste, ouvrage d'avant-garde avec la crème des musiciens de l'époque : de Ernie Watts au saxophone ténor, au formidable George Duke aux claviers sans oublier le polyinstrumentiste Ian Underwood qui dirige cet opus extraordinaire de près de vingt minutes intitulé "Music for electric violin and low budget Orchestra". FZ toujours mégalomane n'avait commandé pas moins de 97 musiciens au départ pour une suite que les seuls membres "ordinaires" des Mothers of Invention ne se sentaient pas prêts à affronter. JL Ponty n'intègrera d'ailleurs les Mothers qu'en 1973, et on se souvient avec émotion de "Overnite sensation" et de Fifty-fifty sur lequel improvise le violoniste. Dommage que les relations entre les deux hommes se soient détériorées aussi rapidement. Car, un an plus tard, JL Ponty entrait dans le mythique Mahavishnu Orchestra de John Mc Laughlin, l'autre grande figure du jazz-rock, et allait continuer sa route en leader. Mais il n'aura jamais été aussi bien utilisé que dans ces groupes aujourd'hui historiques…

Les notes : 7 pour "Electric connexion", dont on fera le bonus de l'Immortel "King Kong".