Out - Tribute to Eric Dolphy

Jean-Marc Padovani

par Sophie Chambon le 18/03/2004

Note: 9.0    

Dans une interview de 1961 à Jazzmagazine, Eric Dolphy tentait de justifier sa vision de la musique : "Je trouve agréable tout ce que je fais et cette sensation m’aide à jouer. C’est comme si vous n’aviez aucune idée de ce que vous alliez faire ensuite. Pourtant l’idée est là mais c’est toujours quelque chose de spontané, d’imprévu qui survient… Je ne crois pas nécessaire de chercher pour trouver…". En suivant ce fil conducteur, peut-être entrera–t-on encore plus facilement dans le projet du saxophoniste Jean-Marc Padovani, qui consiste à offrir avec son septet un hommage vibrant, généreux et sincère à ce génial "passeur" qui rivalisait avec les oiseaux.

Les instrumentistes jouent d’excellence, prêts à se frotter à l’urgence de la déclaration musicale : Jacques Mahieux, batteur vif d’attaque et tout en nuances, Gérard Pansanel dont la guitare exaltée dispense de belles envolées, Michel Marre, trompettiste rare et fulgurant, Franck Tortiller vibraphoniste énergique et passionné, sans oublier Olivier Sens des plus sérieux dans son engagement à la contrebasse. Les deux saxophonistes enfin, le plus jeune Sébastien Texier à l’alto (et à la clarinette) et le chef de troupe Jean-Marc Padovani au ténor et soprano ont uni leurs talents pour reprendre le rôle de Dolphy. Incisifs et ardents, ils jouent librement leurs parties avec un art consommé de l’improvisation et une belle assurance.

Ce groupe est une révélation, il affirme avec superbe sa dimension orchestrale, tout en restant apte à privilégier aussi les divers apartés en duos ou trios. Les compositions de Dolphy délicates, subtilement élaborées, fringantes et lyriques sont de véritables illuminations : du délicieux "Feather" (ballade nostalgique et précise en hommage à Leonard Feather, musicien et critique célèbre), à l’intrigant et swinguant "GW" (référence à Gérald Wilson, trompettiste, compositeur et arrangeur pour le cinéma, chef d’orchestre actif des années soixante, revenu à Paris à la fin du mois de mai 2003), des compositions enlevées "Mandrake", "Serene" au poignant "Something sweet, something tender", le programme s’enchaîne fluide, libéré : sept compositions pour un septet de choc et de charme, belle équipe vraiment dont les expériences en live s’avèrent parfaitement concluantes. Quant à l’instigateur de ce projet intelligent et fédérateur, Jean Marc Padovani, il a droit à toute notre admiration pour avoir osé reprendre, retravailler cette écriture à laquelle se soumirent les individualités présentes, laissant apparaître une structure rigoureuse et dense, tout en donnant l'impression d'une création continue et imprévisible. Un jazz encore effervescent, car toujours porteur de sens et de vertus formelles. Une musique d’épiphanie qui retraverse le temps et sait affirmer son désir, un rêve qui devient réalité dans les marges, en rupture : "Out" comme dans les titres de plusieurs de ses albums.

Si le passage d’Eric Dolphy fut fulgurant, injustement bref sur cette terre, relire les écrits de Jacques Réda dans cette somme qu’est "L’improviste, une lecture du jazz" en écoutant cet album, est le moins que l’on puisse faire pour voir revivre, même fugitivement ce "bluebird", oiseau de paradis...