Air libre

Jean-Philippe Muvien

par Sophie Chambon le 13/04/2006

Note: 9.0    

Poursuivant l'aventure de Flench Wok, le guitariste sudiste Jean Philippe Muvien persiste, et signe "Air libre" (titre de Daniel Humair) sur le nouveau label Algorythm qu'il a créé et que distribue Abeille.

Dès les premières secondes, on reconnaît la griffe de Daniel Humair, son style inimitable : véritable "talent scout", il va encore plus loin et continue à enregistrer aux côtés de jeunes musiciens avec lesquels il partage le bonheur du collectif. Le graphisme sort directement de l'atelier de Philippe Ghielmetti qui ne perd jamais de vue les artistes qu'il aime… et Humair est du nombre. Le batteur comptait en effet parmi les artistes emblématiques du label Sketch, depuis le premier album triple jamais sorti en France "Hum" en 1999. Gageons qu'à présent adopté, le talentueux guitariste, fait partie de la "famille".

Sans piano, cette formation pluri-générationnelle illustre le niveau de création auquel sont parvenus les musiciens actuels. Comme les formations régulières sont rares, habitude est prise de s'inviter les uns les autres… et de tracer son sillon. A la paire initiale composée de Humair et Muvien viennent donc s'ajouter de vieux complices du batteur, les maîtres Celéa à la contrebasse et Sclavis aux clarinettes. Ils se glissent partout où il peuvent, et l'espace ne manque pas dans cette musique à la fois construite et ouverte. Les autres invités, plus jeunes, ne sont pas en reste, apportant chacun leur contribution et leurs timbres originaux : finesse et délié du phrasé de Vincent le Quang au soprano, accords mélancoliques de Vincent Peirani à l'accordéon (avouons une préférence pour la couleur "bleue" de ses interventions). Il y a aussi Maja Pavloska instrumentalisant sa voix sur les deux derniers titres, "Vlada" et ce "Drôle d'endroit" qui conclut le disque en feu d'artifice.

Les irrisations de la guitare de Jean Philippe Muvien comblent largement l'absence de piano. Il joue sur l'éclat, entre vivacité cinglante et harmonies décalées. Son phrasé plus harmonique que mélodique, se combine aux emportements lyriques des souffleurs. C'est bien sa propre voix que nous entendons à chaque occasion, au fil de ses rencontres, faisant passer la recherche du son avant l'affirmation de soi.
Huit compositions particulièrement enlevées, souvent co-écrites par le guitariste et le batteur, tiennent sur une longueur idéale de 46 minutes. Deux d'entre elles rendent hommage au pianiste Joachim Kühn, partenaire d'un autre trio historique autant qu'éphémère, le "Triple entente" de Humair, Kühn et Jenny-Clark.

Jean Philippe Muvien parvient à donner consistance à son projet de concilier liberté, invention de l'instant et respect des règles du rebondissement. Du free son, de l'humour et de l'émotion aussi, des accents rock tels que nous les aimons avec une batterie plus subtile : une musique qui respire, électrisante, impatiente et souvent fébrile. Le guitariste a trouvé en Daniel Humair un partenaire idéal. Les entendre jouer de concert est un régal, car ils ont l'art de nous entraîner à leur suite dans une course folle. Rien n'est imposé, seul est offert le plaisir de s'abandonner au travail de l'ensemble.