| | | par Sophie Chambon le 27/02/2005
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| Un autre "labour of love", Bix Beiderbecke, une biographie.
C'est le premier ouvrage de Jean-Pierre Lion, un authentique "allumé du jazz" (mais pas seulement), par ailleurs chef d'entreprise dans le civil, qui a consacré quatre années de sa vie à Bix Beiderbecke, l'un des premiers solistes blancs, pionniers du "Jazz Age"dont il a écrit et joué quelques-unes des plus belles pages. Ce travail colossal de 352 pages, 140 photos dont beaucoup inédites, fourmille de références données en toute authenticité, propose une discographie complète, comme seul peut la restituer avec une précision diabolique un amoureux fou de jazz, un de ces "chevaliers de l'éphémère". Il comprend aussi des textes et documents aussi émouvants que le solo de "Singin' the blues" relevé en sons réels par Vincent Cotro, ou quelques clés pour comprendre la sonorité si particulière de Bix.
En dépit de l'abondance d'écrits sur l'homme, disparu à 28 ans, cette biographie du roi du cornet constitue une somme unique et singulière. Indispensable pour mieux approcher le mystère de cette personnalité qui vivait en marge de sa propre existence, détaché de tout sauf de la musique, affranchi du principe de réalité. Il aura ainsi alimenté à son insu le mythe, inaugurant la liste tragique des figures musicales hallucinées qui se brûlèrent les ailes. Sa vie romancée a été très tôt contée, de la biographie impeccable de Richard M. Sudhalter et Philip R. Evans Bix, "Man and legend" au "Young man with a horn" de Dorothy Baker, traduit par Boris Vian, admirateur absolu du musicien. Treize chapitres dont un épilogue racontent les événements forts de cette brève existence : de l'enfance à Davenport (Iowa), à l'école de Chicago, de l'année heureuse 1925 au dernier été "pourri" de 1931. Il en résulte "de la musique avant toute chose" avec des rencontres décisives comme celles du saxophoniste complice Frank Trumbauer, ou du pianiste, compositeur de chansons immortelles, Hoagy Carmichael, ou du chef d'orchestre, surnommé "King of jazz", Paul "potato head" Whiteman.
En véritable héros fitzgeraldien, Leon Bismarck Beiderbecke a travaillé aussi consciencieusement son instrument qu'il a contribué méthodiquement à sa propre fin : "Toute vie est bien entendu un processus de démolition" écrivait en 1936 Francis Scott Fitzgerald - qui connaissait le sujet - dans son recueil de nouvelles "La fêlure". S'il est ému par le destin tragique de ce jeune homme, "angélique démon", qui n'a jamais pris conscience de l'importance de son oeuvre et de "l'exemplarité d'un destin dont il n'aura connu que les souffrances", Jean Pierre Lion ne fait pas uvre d'hagiographe. Il a cherché à rendre compte de l'originalité de ce musicien au-delà du mythe, à montrer ce qui en faisait un précurseur à l'heure même où son contemporain Louis Armstrong abordait une carrière exemplaire autant par la production que par la longévité. Bix fut l'un des premiers solistes à affirmer un talent original, empreint de poésie lyrique, intimiste et nuancée où inspiration et swing n'étaient jamais en défaut. C'est par lui que l'on a écouté Louis Armstrong. Musicien maudit, ce jeune homme bien élevé qui cachait sa bouteille dans le tabouret du piano a su rendre compréhensible au public blanc américain et européen la tradition noire de cette musique nouvelle. |
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