Comment passer d'auteur à succès à songwriter dépressif ? Demandez à Joe South : il a tout d'abord été musicien de session à Nashville ("Blonde on blonde", de Bob Dylan, entre autres) et à Memphis aux fameux studios Muscle Shoals, où il a notamment joué pour Aretha Franklin – la guitare sur "Chain of fools", c'est lui. Il a ensuite connu des succès en tant que compositeur, avec par exemple rien moins que... "Hush" de Deep Purple.
A la fin des années soixante, il tente de se lancer dans une carrière solo, et cela lui réussit encore puisqu'il décroche un tube avec en 1968 avec "Games people play". Malheureusement, Joe entame une longue dépression suite au suicide de son frère en 1971. Il enregistre néanmoins une poignée de disques avant un retrait définitif du circuit en 1976. Amateurs de chanteurs aux fêlures trop visibles, passez votre chemin : son mal-être est très codé, enfoui sous un melting-pot country / rock / soul qui touche à la variété. "So the seeds are growing" (1971) et "A look inside" (1972) sont unis par un style homogène, mais en définitive assez éclaté. South a la voix d'un Elvis Presley grassouillet ("So the seeds are growing"), et peut aussi par moments évoquer Van Morrison sur des titres plus lents ("Coming down all alone"). On pense même au Tim Buckley de la même période pour ce rythm'n blues un peu épais ("Misunderstanding"). Joe South ne lésine pas sur les enrobages d'époque : cuivres, wah-wah funk ("No fence around me"), riff - décalqué de "Drive my car" des Beatles - de guitare fuzz sur "I've got to be somebody" ; des sitars en pagaille qui se fritent avec des cordes et des choeurs sur le suranné "Revolution of love" sur lequel South croone des trucs un peu bêtassous ("listen to The One / forget what you've done"). "Lady moon walker" a le même parfum un peu lourd et daté. Joe South navigue constamment entre autodépréciation ("So the seeds are growing", "It hurts me so"), envies de gloire teintées de cynisme ("I've got to be somebody", "I'm a star"), romantisme collant ("United we stand") et pose d'outlaw sudiste ("No fence around me", le parlé-chanté de "Misfit").
Ces identités assez disparates se reflètent toutefois davantage dans les textes que dans la musique - très middle of the road -, et davantage sur "A look inside" que "So the seeds are growing", ce dernier étant composé en partie de reprises (Ray Charles...).