To whom it may behoove

Joel Arant

par Jérôme Florio le 13/06/2005

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
As soon that I'm broken
Lullaby for Becky


Le premier disque en solo de Joel Arant cumule tous les handicaps pour rester dans le plus obscur anonymat - un petit panneau signalétique qui se tient droit au milieu d'une forêt d'enseignes criardes. C'est une autoproduction qui nous arrive directement d'Iowa City, USA, et qui ne bénéficie donc d'aucune promotion ; de plus Arant a une conception du marketing propre à faire se suicider en masse tous les Pascal Nègre du business : sur le livret avare en notes (mais soigné, comme le visuel), on lit un "making copies for non-commercial use is expressly encouraged" qui invite au libre partage. Les actes suivent la parole : le disque est téléchargeable en intégralité au format mp3 sur son site. Arant, dans sa bio laconique, ne donne pas l'impression d'avoir une très haute opinion de lui-même : dans le circuit depuis une vingtaine d'années, il n'est plus un jeune premier, et semble résigné dans sa position de second couteau qui a perdu d'avance.

"To whom it may behoove" est un bon compagnon de route des Springsteen et autres Bob Dylan. L'instrumentation est classique, la prise de voix un peu contrainte, mais les guitares électriques sonnent bien. La rythmique solide, les touches d'orgue et d'harmonica se rapprochent autant d'un rock'n roll adulte que d'influences country-folk : on est en pleine "americana", celle des motels, des routes que l'on trace pour se retrouver ou pour se perdre, pour aller ailleurs, là où ça ira mieux. Joel Arant, d'une voix fanée qui peut se muer en falsetto, raconte avec des mots évidents et simples les espoirs revus à la baisse ("Bigsville"), et surtout des histoires d'amour froissées comme du papier mâché. Les femmes y ont les pleins pouvoirs – destructrices, elles pratiquent la politique de la terre brûlée, et le pauvre Arant se prend tout le napalm dans la tronche. "Lullaby for Becky" baisse les armes devant une passion obsédante ("there oughta be a law against you"), "Breather" (plus sombre avec son riff syncopé) et le texte sans pitié de "I had to go" forment un tryptique qui laissent l'homme sur le carreau. Le coup de grâce finira bien sûr par arriver avec la guitare menaçante et le piano martial de "As soon as I'm broken".

L'espoir refait surface sur "Family of a man", sous la forme de choses fragiles, presque pathétiques : un sourire aperçu de l'autoroute, de la barbe-à-papa et de la limonade… des chœurs féminins optimistes accordent un répit le temps de la chanson. "Grocery boy" et "Go-between" achèvent avec la même clarté cet aperçu d'une Amérique aux multiples possibilités, réelles ou illusoires, que les losers ne font souvent qu'entrevoir – et qui s'en font une raison, ou qui jettent l'éponge jusqu'à tirer volontairement leur révérence hors de ce monde.