Happy-go unlucky

John Cunningham

par Jérôme Florio le 05/06/2003

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Losing myself too
Can't get used to this
It isn't easy
Welcome to the world


John Cunningham, anglais de 34 ans, publie son cinquième album dans l'indifférence générale. Le titre du disque nous renseigne sur la lucidité du bonhomme. Happy sad. Pas assez vendeur pour rester sur le même label deux fois de suite, il ne doit d'être distribué qu’à l'effort de fidèles passionnés, qui savent comment un disque peut influencer une vie.

C'est un bien étrange paradoxe que la musique la plus chaleureuse et accueillante soit aussi la plus difficilement partageable... Ici, la guitare est faite du même bois que les arbres : en artisan pour qui la pop est encore une matière vivante, John Cunningham grave dans l'écorce des chansons sublimes et intemporelles, à la tonalité acoustique. Passé le couplet enjoué emmené par le piano de "Losing myself too", des choeurs féminins font irruption et éjectent John de sa chanson, emportant tout comme la crue d'une rivière qu'une digue ne peut plus contenir. On s'y noie avec délices, dans la béatitude d'un moment parfait. Si les textes sont parfois sombres - la mort ("Way to go"), les traumatismes de l'enfance ("It isn't easy"), le doute ("Losing myself too") -, la musique est colorée, pleine de sève. C'est un printemps aux couleurs automnales, luxuriant, mais habité par une mélancolie qui naît peut-être d'une sensation de décalage avec la vie ("Invisible lives"). John Cunningham ne peut que constater la fuite du temps qui passe, sans parvenir à l'arrêter : ses chansons sont autant de pauses, de respirations.

Sa musique a l'apparence des ciels de traîne aux contours des nuages sans cesse changeants. Comme deux printemps se ressemblent mais ne sont jamais identiques, l'attention se porte à chaque écoute sur une nuance, sur la ligne mélodique d'un instrument (c'est l'anti-Belle & Sebastian !). Tout semble à la fois figé et en constant renouvellement. Les arrangements de claviers, cuivres et cordes sont sidérants d'inspiration, aussi légers et naturels que les feuilles qui habillent les branches d'un arbre. Chaque note de piano au début de "Can't get used to this" est un crève-coeur, fugace instant de grâce de quelqu'un qui ne peut rester insensible devant la douleur et la beauté du monde. Une construction éblouissante en forme de suite fait se déployer les cordes, puis bascule abruptement en une douce révolte portée par une guitare électrique au jeu inspiré de George Harrison sur "Abbey road". L'univers de John Cunningham a une dimension onirique : des elfes, des fées se cachent avec John Lennon dans les champs de fraises ("Here it is"), dans les sous-bois de "It isn't easy" - on se pince en croyant apercevoir le fantôme de Nick Drake... Autant d'influences écrasantes pour le commun des musiciens, qui sont ici des esprits bienveillants. "You shine" est la seule chanson qui paraisse un peu trop décorée ; pure pop-song au rythme guilleret, elle est rongée par un texte amer. De même, le ton se fait sarcastique sur la scintillante "Welcome to the world", aux sonorités madeleines de guitare Rickenbacker. La fin de "Take your time" est à reprendre en choeur, comme pour figer un instant et se sentir moins seul. On écoute la dépouillée "It goes on" en retenant son souffle, saisi par une ambiance de fin de quelque chose.

"Happy-go unlucky" a beau s'ouvrir par un appel à l'aide, il trouve la quiétude dans l'éternel recommencement du cycle des saisons, rassurant et apaisant.