Greaves Verlaine

John Greaves

par Sophie Chambon le 21/04/2008

Note: 9.0    

Avec cet album, le pianiste, bassiste, auteur-compositeur et chanteur gallois John Greaves s'est lancé un nouveau défi : sortir un disque en français sur des poèmes de Paul Verlaine. S'inspirant de divers recueils très connus, "Chansons pour elle", "Romances sans paroles", "Parallèlement", "Fêtes galantes", "Poèmes saturniens" et "La bonne chanson", John Greaves a extrait dix titres auxquels il a rajouté un plus leste en final, "Triolet à une vertu". Pendant des vacances en Ecosse, il a donc choisi "une poignée de diamants" qu'il a transposé en chansons et interprétées de façon originale mais fidèle tout de même à l'esprit de l'auteur : chansons d'amour éperdu et perdu, chansons charnelles aussi (l' érotisme de "Séguedille" est plus convaincant que le "triolet à une vertu". Le bonheur et la douleur de la possession, le temps qui passe, donnent une coloration sombrement mélancolique à ce recueil.

Comme John Greaves reste fondamentalement narrateur, la dimension harmonique est portée par l'arrangement et tout ce qu'il y a autour de la voix. Et quelle voix ! Un accent anglais rauque, une voix rocailleuse et souvent monotone (il faut parfois s'aider du livret quand on ne connaît pas les poèmes par cœur), le choix de l'interprète est troublant pour servir l'auteur "de la musique avant toute chose". De quoi choquer peut-être les puristes, encore que Léo Ferré et Serge Gainsbourg aient ouvert la route… Mais avec ses ralentis traînants et ses accélérés pour garder la cadence… sans avoir le velours d'un Alain Bashung , on pense parfois – et le compliment n'est pas mince - au rocker du vertige.

L'unité paradoxale de l'album réside dans l'alliance de tous les timbres musicaux qui brossent un arrière-plan omniprésent, empreint d'une nostalgie et d' une déprime très actuelles, écrin pour la voix de John Greaves, qui réussit alors son coup. La réalisation minutieuse et compliquée, tient par la coopération bidouillée de nombreux copains musiciens invités (ils sont onze). Le batteur et le pianiste (formidables Mathieu Rabaté et Marcel Ballot) ont fait des prises chez eux, les autres instrumentistes sont venus au fur et à mesure faire leurs parties, en jouant un ou plusieurs titres, selon l'inspiration du moment : judicieusement choisis, Karen Mantler à l'harmonica, Scott Taylor à l'accordéon, Arthur Simonin aux cordes, lancinantes à souhait, le violon solo de Dominique Pifarély parfaitement adapté, la scie (et la soie) musicale de Fay Lovsky, un ravissement ; quant aux guitares finement saturées de Jef Morin, elles donnent une résonance rock poignante à quelques titres et en particulier à "Silence silence". Cette belle association de talents dans un projet très personnel souligne l'éclectisme sensible du Gallois : cet album est révélateur de musiques actuelles qui flirtent avec toutes les musiques aimées. Intelligent !