Johnny Winter - Expanded edition

Johnny Winter

par Chtif le 07/08/2004

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Be careful with a fool


Lemmy Kilmister et ses verrues faciales, Steven Tyler et sa bouche en cul de poule, Pete Townshend et sa péninsule nasale? Ils ont été bien inspirés de faire du rock ceux-là, sinon bonjour la galère pour draguer en soirée. Et encore là on ne cite que certains des plus connus, mais la liste de ceux qui ont tenté de masquer un physique ingrat derrière une guitare est aussi longue que celle des galères qu'ils durent surmonter pour y arriver. Car à défaut de belle gueule, il vaut mieux assurer côté talent pour attirer l'attention. C'est ce qui les rend intéressants d'ailleurs. Vous croyez qu'on peut raconter honnêtement la frustration adolescente quand on a une tronche de jeune premier ? Qu'on peut décemment chanter le blues quand on n'a pas passé sa jeunesse à voir les couples se former sur la piste en sirotant seul sa bière au bar ?

Prenez le cas de Johnny Winter, pendant qu'on parle de blues. Dire qu'il n'a pas été gâté par la vie est un bel euphémisme. Déjà, naître albinos, ça doit vous garantir un bon lot de quolibets dans la cour d'école. Mais se voir en plus affublé d'un strabisme divergent forcément disgracieux? Merci Dame Nature, fallait pas vous déranger. C'est sans doute pour cela que Johnny Winter trouva refuge dès son plus jeune âge au sein de la communauté noire de sa ville natale, Beaumont au Texas, où au-delà des considérations raciales et physiques seul comptait l'amour du blues.

C'est dans les clubs noirs que l'apprenti bluesman fit ses classes et apprit le métier: il réussit même à monter sur scène au culot et recueillir une ovation lors d'un concert de B. B. King. Il n'avait que 17 ans.

Son premier album paru en 1969 et aujourd'hui réédité est plus qu'un manifeste de blues électrique: un majeur dressé face au destin qui croyait avoir suffisamment ruiné les chances du jeune texan. C'était sans compter sur les capacités inattendues que Johnny déploya très tôt pour manier la 6-cordes. Un virtuose, rien de moins, un de ceux qui peuvent vous dégoûter à tout jamais d'apprendre la guitare. Oh, on ne parle pas ici de déballage technique, façon guitar-hero, Satriani et tout le tralala, mais bien d'un feeling blues hors du commun.

Blues du Delta joué avec une sincérité sans faille ( l'acoustique "Dallas" au bootleneck acéré), blues-rock fleurant bon le pub enfumé et la descente de packs à l'arrière du pick-up ("Mean mistreater" sur lequel Johnny invite le légendaire Willie Dixon à la basse et "Big" Walter Horton à l'harmonica), ballade quasi-soul rehaussée de cuivres et de piano ("I'll drown in my own tears"), c'est tout l'héritage de Robert Johnson et autres John Lee Hooker qui fut ici remis au goût du jour, alors qu'un peu plus à l'ouest, l'époque psychédélique battait son plein.

Le jeu du Texan n'hésite pas à s'embarquer dans de folles cavalcades électriques, tout en restant moins brouillon que celui d'Alvin Lee de Ten Years After. En témoigne le solo aride de la magnifique reprise de "Be careful with a fool" de B. B. King : c'est sec, hypnotique et haletant comme une course perdue d'avance sous le soleil cuisant du désert. Une leçon de maître.

Trois titres sont venus se greffer sur cette réédition: le boogie "Country girl", une version plus aérée de "Dallas", et enfin "Two steps from the blues", reprise du Bobby "Blue" Bland, qui apporte une surprenante couleur soul Motown bienvenue en fin d'album, l'occasion d'apprécier une facette différente du bonhomme. Plus de problème pour emballer quand on est capable de chanter ça ?