Love, love

Julian Priester

par Sophie Chambon le 12/12/2005

Note: 8.0    

"Love, love" semblera aujourd'hui un curieux album, quand on sait qu'il sort de chez ECM, mais il s'agit encore d'une réédition de 1974 : la conception du son n'était pas alors aussi farouchement édictée comme "le plus beau son après le silence".

C'est donc à un magma électroacoustique d'une superbe fluidité que l'on a affaire ici. Divisé en deux longs morceaux de vingt minutes environ, l'album propulse dans une galaxie fréquentée à l'époque par les amoureux de Sun Ra et autres magiciens de la scène. D'ailleurs il nous faut préciser que Julian Priester (appelé aussi Pepo Mtoto) avait entamé sa carrière dans les années cinquante avec Sun Ra (qu'il retrouva d'ailleurs dans l'Archestra vingt ans plus tard) avant de passer au hard bop puis de participer de 1970 à 1973 au sextette de Herbie Hancock.

On retrouve toutes les influences de l'époque dans cette "black funkadelic" épopée. De nombreux musiciens sont engagés pour composer ce trip sidéral sur un tempo qui se veut hypnotique et frise l'exaspération sur le "Prologue /love, love" alors que les solistes s'échappent en de belles envolées : flûtes et saxophones précieux et éthérés, guitares joliment électrisantes, trompettes plus ou moins inspirées de Miles (déjà). Quant au tromboniste lui même, il joue aussi des percussions et des claviers mais s'exprime nettement sur la plage 2, "Images / eternal worlds / epilogue" que l'on préfère à tous égards, car elle relève d'une création continue et imprévisible : phrasé fluide et mélodique, éclat cuivré de ces notes rebondies, effets de big band des musiciens qui se prennent au jeu.

C'était aussi un des avantages de cette période : colorée, drue et généreuse, la musique déployait généreusement des nappes de son qui s'étiraient, propices à un embarquement pour un voyage in(dé)fini, état de grâce que les musiciens tentaient de prolonger sur scène. Ils ne faisaient pas de la musique mais se laissaient faire par elle. Le bonheur !