Try out

KaS Product

par Jérôme Florio le 18/03/2005

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Pussy X
Never come back
So young but so cold


En 1982, Philippe Lavil, Pierre Bachelet, Chagrin d'amour et Dorothée sont les plus gros vendeurs de disques en France… Alors quand les KaS Product débarquent, avec leur look patibulaire tout en cuir noir, il y a de quoi faire paniquer les jeunes giscardiens et leur faire quitter vite fait la piste de danse. Condamnés à la marginalité dans un tel paysage, le duo formé à Nancy en 1980 laissera en trois disques autant de coups de griffe dont l'écoute brûle encore.

Spatsz et Mona Soyoc jouent un mélange frénétique d'électro primitive et de rock minimal (une formule qui ne cesse de marcher très fort, voir les Kills) à la forte personnalité : lui derrière ses claviers, ex-infirmier psychiatrique au nom qui sonne comme une décharge électrique ; Soyoc au chant, américaine d'origine argentine dont la voix affirmée partage avec Siouxsie Sioux une présence autoritaire. A l'opposé de l'aseptisation des succès populaires de l'époque, la tension sexuelle est permanente et explicite (les feulements et les agressions diverses sur "PussyX", la fleur phallique de la pochette qui exhale un parfum létal – symbole brandi avec arrogance, alors que le virus du sida est sur le point d'être découvert). Mona Soyoc apparaît en dominatrice, avec un côté dictateur en cuir : ses phrasés jazz (un genre qu'elle a pratiqué avant KaS Product) contrastent fortement avec le minimalisme obsédant des boîtes à rythmes, et se font sadiser par les beats tranchants, les guitares-scalpels et les claviers froids comme l'éther de Spatsz, qui semble rêver nostalgiquement d'électrochocs.

Ceux qui font de l'électro-pop aujourd'hui (Miss Kittin & The Hacker par exemple) doivent beaucoup à ces parrains trop peu (re)connus – au moins autant que KaS Product doit à Suicide, qui avait catapulté Elvis dans un monde de combats de rue et de défonce dans les galeries d'art (ils partageront d'ailleurs un concert à l'Olympia avec Alan Vega, en clôture de la tournée française de 1982). Mais avec quelques différences essentielles : là où la scène actuelle sirote des martinis sur la banquette arrière d'une limousine, "Try out" évoque plutôt une agression au cran d'arrêt dans la backroom d'une boîte de nuit interlope. La pose cheap et rigide, un peu datée, est un accessoire utilisé aujourd'hui au second degré ; mais dans le mouvement cold-wave, qui a fleuri sur les braises encore rougeoyantes du punk, c'était la création d'un nouveau code, qui ne craignait pas de théâtraliser à outrance. "So young but so cold" : un manifeste qui fait table rase du passé, comme le dit aussi "Never come back", véritable bombe qui fonce droit dans le mur, porte d'entrée prophétique vers le tombeau du business.

Entre ambiances de tournage déjanté ("Undergound movie"), de film noir secoué sous la Prohibition ("No shame") et des climats plus oppressants ("Digging in a hole", "Sober"), "Try out" est le disque le plus urgent enregistré par KaS Product.