Kenny and Beth's musakal boat rides

King Creosote

par Jérôme Florio le 12/01/2004

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Lavender moon
So forlorn


Dans le petit monde de la "lo-fi", économie de moyens ne rime pas forcément avec étroitesse d'esprit : King Creosote règne sur son lopin de terre écossais (j'adore entendre "take me to the loch, Marie" sur "Turps") en suzerain désargenté, mais aux vues larges.

Depuis 1995, Kenny Anderson éparpille à travers de nombreux labels et d'éphémères formations ses joyaux de la couronne (et ses bijoux de famille) : désormais en solo, "Kenny and Beth's musakal boat rides" est son premier disque à bénéficier d'une distribution convenable. Cette sélection hétéroclite d'enregistrements est une introduction idéale à son univers, et dispensera le plus grand nombre de se transformer en archéologue : "Kenny and Beth's…" ne fera certes pas plaisir à ceux qui achètent des disques pour écouter leur matériel hi-fi, mais ravira les amateurs de space-folk atmosphérique et de sous-bois bariolés.

Droit de cuissage à volonté : King Creosote fait se culbuter audacieusement folk psychédélique et samples intelligents - les chants grégoriens sur "Homeboy" et "Harper's dough", qui donnent un contrepoint aérien à des chansons terriennes taillées dans un bois tendre. Le King invente son folklore personnel sur des compositions tissées d'accordéon et d'acoustique lumineuse ("Pulling up creels", "So forlorn") : au rendez-vous avec la lune de "Lavender moon" (Pip Dylan au finger-picking), il mérite largement le titre de Roi Soleil.
Mais débarrassé de son manteau d'hermine, c'est moins reluisant : une soul miséreuse, chopée chez les voisins Arab Strap ("A friday night in New-York"), un texte cru ("Missionary"). Par miracle, Kenny Anderson parvient toujours à transcender une intimité parfois ingrate, jusqu'à s'élever à la paisible incantation de "Harper's dough" (du Spiritualized désintoxiqué) : une prouesse digne du Roi Midas. Du haut de son palais d'infortune, Creosote regarde parfois le vide avec les yeux de Syd Barrett ("Spokes"). Bien cachées dans les douves, on imagine les tonnes de cassettes qu'il a dû remplir de chansons noires d'encre. Subsistent sur "Meantime" des craquements assassins de disque vinyle, qui sont là comme pour volontairement salir cette chanson immaculée.

Descendu de son trône, King Creosote nous devient vite proche et familier. Laissez quelques secondes s'égrener à la fin du disque, et vous aurez un fugace aperçu de bonheur domestique, une sorte de "Alan's psychedelic breakfast" (Pink Floyd) dans lequel Anderson laisse son bambin (Beth ?) faire joujou avec le micro. Une manière de pratiquer la musique comme une saine et naturelle occupation, pour réenchanter la vie au quotidien, loin des fâcheux aux chevilles enflées – la modeste "muzak" du titre tendrait à suggérer que tout cela est de peu de valeur.

Sorti de la confidentialité, un roi est de passage : invitons-le chez nous, il ne demande pas mieux que de nous compter parmi ses sujets.