Cinquante ans de Prix Django Reinhardt

L' Académie du Jazz

par Sophie Chambon le 17/09/2006

Note: 9.0    

Voilà un disque à mettre entre toutes les oreilles. Pour ceux qui aiment le jazz et ceux qui aimeraient le découvrir. Leçon ludique et passionnante sur le jazz et rien que le jazz (pas d'ambiguïté en ce domaine), œuvre pédagogique ou didactique, comme on veut, ce double Cd de l'Académie du Jazz célèbre les 50 ans du Prix Django Reinhardt, attribué au musicien le plus inventif de l'année. Revenons sur les origines de "l'institution" : elle fut fondée en 1954 (avec comme président d'honneur Jean Cocteau) par un ensemble de jeunes collectionneurs qui s'étaient connus dans la cave du Hot Club de Paris. Ils décidèrent de récompenser le meilleur de la production discographique dans divers domaines orchestraux et stylistiques. Ils voulurent aussi honorer d'un prix particulier le jazzman français le plus créatif de l'année. Les trois premiers lauréats furent ainsi le saxophoniste ténor Guy Lafitte, le pianiste Martial Solal et l'arrangeur Christian Chevallier, bien oublié aujourd'hui.

Un double album "historique" présenté dans un packaging soigné : un bel objet à la couleur orange vif constitué de deux Cd sous forme de microsillons, de véritables notes de pochette (où l'on découvre un texte drolatique, d'une étonnante modernité, signé Boris Vian "Quand l'amateur de jazz écrit"), ainsi que des illustrations de cette époque révolue, des photos de Jean-Pierre Leloir de Barney Wilen, René Urtreger, Jean Cocteau, Georges Auric, Louis Armstrong, Duke Ellington. Les autres photos (plus récentes) de Jimmy Smith, Horace Silver, Dee Dee Bridgewater, Maurice Cullaz... sont de Christian Rose, Philippe Etheldrede et Jacques Bisceglia.

Comme le choix n'est plus à faire, on appréciera de se laisser guider par ce florilège de trente morceaux choisis, tous délectables, qui suivent un ordre chronologiquement décroissant, intelligemment décliné. Il y a certes de grands disparus (les deux Michel : Petrucciani et Graillier), mais heureusement des musiciens bien vifs (les frères Moutin, J.-M. Pilc, B. Trotignon, Bojan Z.). Le premier Cd commence par la fin du siècle dernier, le début du nouveau millénaire avec la relève, Pierre de Bethmann et son quintet Ilium, le second débute par un étonnant Barney Wilen de 1991, en duo avec Alain Jean-Marie, un pur joyau, "Things of the fugue", et nous réserve d'autres surprises comme le "Modo Azul" de Jef Gilson en 1964, avec rien moins que Jean-Luc Ponty, Michel Portal à la flûte, Eddy Louiss et G. Rovere. La "compilation" chic se termine avec "Asana", arrangement de Christian Chevallier (1957) qui offre un superbe solo de Roger Guérin au bugle.

Ce panorama balaie ainsi toute l'histoire du jazz depuis 1954, et son évolution est retracée de manière exemplaire au travers de formations les plus diverses. Il y en aura pour tous les goûts : des pianistes solistes tels que René Urtreger ("Budomania"), Laurent de Wilde ("So long Barney"), Manuel Rocheman ("Alone at last"), des duos comme celui d'Eric Le Lann et Martial Solal en 99 ("Le bleu d'Hortense"), des trios impeccables : Martial Solal toujours, mais en 1963, avec Daniel Humair et Guy Pedersen), Claude Nougaro avec sa fine équipe (Maurice Vander, Bernard Lubat, Pierre Michelot dans "C'est la vie" en 1984), sans oublier les grands ensembles : l'ONJ "Lumière" de Laurent Cugny dans "Yesternow" en 1994, le Pandémonium de François Jeanneau, une délicieuse "Toccata" pour le piano arrangée d'après Debussy par Hervé Sellin (piano) et François Biensan (trompette). La jeune garde n'est pas en reste avec les frères Belmondo, mais aussi Sophia Domancich, seule femme distinguée à ce jour par le Prix - en 1999 seulement (il était temps !) - Simon Goubert..

Différents labels concourent à affirmer les principales tendances d'un jazz français mais pas chauvin, même si ne figurent encore que trop peu de labels indépendants. Ainsi, l'Académie - présidée aujourd'hui par François Lacharme (après le règne de Maurice Cullaz et la direction experte de Claude Carrière) - n'a pas achevé son travail. Elle continuera à faire connaître les grands noms du jazz de la scène hexagonale. Un travail somme toute peu académique, mais réalisé sérieusement via une anthologie qui souligne un goût pour les racines du jazz, cette musique de l'instant qui n'a pas fini de durer...