La Maison Tellier

La Maison Tellier

par Chtif le 24/11/2006

Note: 9.0    

Alors là, je me suis complètement fait avoir… J’ai entendu pour la première fois parler de la Maison Tellier en coup de vent sur un site pop-rock indé. Normalement, c’est le genre d’endroits qui inspire un minimum de méfiance (on connaît leur goût immodéré pour les xylophonistes sans voix et désaccordés, ces petites choses…), mais cette fois-ci, on dresse l’oreille. La "Maison Tellier", c’est d’abord une nouvelle de Maupassant, l’histoire des pensionnaires d’une maison close de campagne (texte intégral ici). Pas le genre d’auteur ni de sujet prisé par les indés du moment : trop rural, pas assez "artiste", pas assez prétentieux. Non décidément, de jeunes gens choisissant pareil nom ne peuvent qu’être honnêtes et susciter l’intérêt. D’emblée, l’écoute nous le confirme.

La Maison Tellier est une formation normande perpétuant la tradition des collectifs, les musiciens venant augmenter l’effectif au gré des rencontres et des concerts improvisés. Avant même de parler de ce qu’est la Maison Tellier, il faut préciser ce qu’elle n’est pas : la Maison Tellier ne s’abîme pas comme les centaines de descendants des Têtes Raides dans un réalisme vieille France et bal populaire. Exit également les revendications sociales pénibles : pas d’engagement écolo (Tryo), ni de rebellion à trois roubles (Cali), et franchement, ça détend. Et enfin bien malin qui arrivera à dénicher sur cet album la moindre pincette de snobisme chiant qu’il est de bon ton d’afficher chez les voisins de Môssieur Delerm.

Evitant ainsi tous les clichés d’une chanson française aujourd’hui bien ampoulée, La Maison Tellier officie dans un folk léger, traditionnel, et pourtant d’une fraîcheur extrême. Avec la sincérité des Grant Lee et autres 16 Horsepower toute la gamme y passe : dépité du comptoir sur "No name #2", carrément western sur le contrasté "Il n’est point de sot métier", le groupe tapote du blues comme s’il venait de l’inventer, et fait passer une énième évocation de Robert Johnson ("Delta") comme une lettre à la poste.

Qu’on n’aille pas non plus s’imaginer que nos tauliers s’enferrent dans une americana passéiste : derrière un souci d’homogénéité constant, le groupe dévoile diverses autres influences, que ce soit au travers d’une rythmique quasi-punk ("Cactus kid"), ou d’une complainte cuivrée à la Saints ("Fraulein S"). On pense avec étonnement aux passages atmosphériques d’Anathema sur "A la petite semaine"… Ces gens-là savent refreiner leurs influences pour ne pas se disperser, et opter judicieusement pour l’anglais (cinq morceaux au total) quand la chanson l’exige uniquement.

Avec un texte au charme saisissant, "La chambre rose" s’impose comme une pièce maîtresse du répertoire : enfin un petit bordel que Marthe Richard ne nous enlèvera pas. Et puis il y a autre chose, que l’on n’ose à peine avouer : les vocaux d’Helmut Tellier possèdent ce timbre si puissant que seul auparavant Bertrand Cantat pouvait nous offrir. Inespéré ? Peut-être se trame-t’il quelque chose de grand, de très grand, derrière ce premier album. Cerise sur le gâteau, une impeccable reprise "pied dans la paille" de "Killing in the name" qui devrait garantir une reconnaissance totalement méritée pour ce groupe presque trop beau pour être vrai.