Blottie

Les Hurleurs

par Jérôme Florio le 12/12/2002

Note: 7.0    
Morceaux qui Tuent
L'épreuve du feu
Il y a des jours
Dialogue


Ce nouveau disque est la troisième étape d'un voyage en cours, après "Bazar" (1996) et "Ciel d'encre" (2000). A l'étroit dans le pré carré de la "chanson néoréaliste", les Hurleurs décident de libérer leur musique et de prendre le large. Ils le doivent autant à des francs-tireurs d'ici (Ulan Bator, Kat Onoma) qu'à des influences anglo-saxonnes qu'ils affichent sans complexes (Tindersticks, Bad Seeds...). Le premier titre instrumental, "Blottie", est un aller simple vers un ailleurs encore trouble. Un son ample, des guitares élégantes et racées forment une sombre fanfare qui s'enfonce droit dans la nuit. Loin des gimmicks faciles, les cuivres n'ont plus le rôle festif qui leur est souvent dévolu, mais la bouche pâteuse des lendemains de fête. La couleur est annoncée : le disque sera nocturne. "L'épreuve du feu" et "Il y a des jours" sont d'impressionnantes mises à feu : une ambiance vaudou s'installe, la fièvre gagne les chansons, et avec elle les délires et les mauvais songes. Hypnotiques et répétitives, elles sont portées par la voix grave de Jean-Charles Versari qui chante avec le goût du sang dans la bouche. Et voilà : dès le titre suivant on est en plein bayou, déjà fréquenté par Tom Waits ou Nick Cave époque "Let love in". Les Hurleurs taillent un beau costard à la chanson française : le groupe joue les mâchoires serrées, le disque sent les vapeurs de mauvais alcool, les odeurs mâles et fortes. Ce côté rêche et abrasif est quelquefois amoindri par la production très (trop ?) soignée de Ian Caple, par ailleurs producteur des Tindersticks. Plutôt que dans l'atmosphère narcotique qui pèse sur quelques titres ("Noche madrilea"), c'est dans les accès de fièvre que les Hurleurs sont les meilleurs, même si ils ne lâchent pas encore complètement les chiens. On reconnaît encore quelques attaches à la chanson d'ici dans la façon de structurer les morceaux, dans le réalisme noir un peu appuyé des textes. Versari, dont les inflexions de voix rappellent par moments Dominique A, parle-chante d'une voix blanche et monocorde des chansons d'oreiller qui a perdu ses plumes, sur une couche qui est le lieu des amours et des chuchotements dans l'obscurité. Ses textes cultivent un côté sombre et charnel, et certains semblent encore rentrer au chausse-pied dans les compositions ("Les oiseaux de nuit"). Peu à peu tout au long du disque, la pose rigide se teinte d'une sensualité latine et arabo-andalouse ("La séparation"), grave et sérieuse, qui se fait clairement jour dans "De la peau à la peau". Ambiance tango, mais le "tango des pendus" de Jacques Brel. Finalement, après une longue nuit de débauche, c'est une chanson de petit matin blême qui clôt le disque. Enfin une présence féminine (Pascale Daniel), longtemps désirée, vient réchauffer le lit. Attiré comme un papillon par la lueur d'une bougie, c'est contre elle que l'on vient se blottir bien au chaud. On quitte ce disque comme un rade de bord de mer, laissant des Hurleurs dont on espère qu'ils largueront définitivement les amarres vers une autre destination, encore plus loin.