Capoeira, roda o mundo

Louis-Vega

par Yves Gufflet le 08/01/2009

Note: 8.5    

Ce Dvd nous propose une immersion dans le monde méconnu de la capoeira. Loin des clichés des kékés bronzés des plages brésiliennes, il est une invitation à découvrir ou approfondir un voyage qui commence 400 ans en arrière, alors que des êtres humains sont arrachés de force de leur terre afin de servir des volontés de conquête et d'empires. Traversant l'océan à coup de fouet dans des cales infernales, cette humanité qui a perdu ses droits ne peut exister que dans une camaraderie silencieuse, où la vie traverse les ténèbres à la recherche de sens, en partageant l'injustice, les souffrances et le désespoir.

La capoeira, profondément africaine, naît ainsi de l'autre coté de l'horizon, au Brésil. Alors que la liberté n'existe plus dans le monde "civilisé" extérieur, les esclaves se retranchent dans la "roda", un cercle qu'ils forment entre eux, symbolisant le monde et la vie : une dernière enclave libre, un territoire d'expression où leur culture, leurs joies, leurs peines quotidiennes peuvent exister. Au travers du jeu, de la musique et des chants, les capoeiristes, deux à deux, investissent ce cercle dans des luttes martiales, acrobatiques et expressives où la vie reprend ses droits. Seule liberté octroyée aux esclaves, la capoeira survit en cachette sous prétexte de rituels et de danse tandis que les capoeiristes apprennent à se défendre et à se battre en exprimant toute leur vitalité et leur espoir intériorisés. Ainsi naît la capoeira.

Mais elle va traverser les siècles et évoluer au gré des conditions extérieures. Après l'abolition de l'esclavage, elle est interdite, trop dangereuse, se développant sur les docks des ports où les couteaux tranchent facilement, accueillant des militaires ou des marins, elle est un vivier de main d'oeuvre pour des basses besognes peu recommandables. C'est sous l'influence de maîtres spirituels reprenant cette graine de liberté à la dérive, qu'elle va relever la tête et redonner du sens à ses origines. La capoeira est reconnue à présent au Brésil comme appartenant au patrimoine culturel. C'est ainsi un devoir de mémoire, transmis de génération en génération, une continuité nécessaire qui donne du sens aux vies qui ont traversé l'enfer, une question posée qui cherche sa réponse en s'exportant dans le monde entier. Dans ce terreau particulier où les corps et les esprits se frôlent et se caressent parfois, s'entrechoquent mais sans jamais éveiller les soupçons, puis au travers de toutes ces évolutions, dans ce contexte, que se passe-t-il, que se crée-t-il ? C'est ce que l'on découvre dans ce reportage au sein d'un groupe de capoeira parmi les plus connus et qui porte le nom des logements où étaient entassés les esclaves : "senzala".

Bien sur à l'heure du body building et de l'image, les capoeiristes qui pratiquent sous le soleil du Brésil ont souvent des corps d'athlètes sculptés dans l'ébène, et ils font des envieux, la capoeira apparaissant alors comme une mode. Mais ce que l'on découvre dans ce Dvd est tout autre, le fruit de ce qui peut surgir quand on étouffe la vie : de la grâce, de l'élégance et de la beauté, de la vitalité et de la joie, du jeu et de la malice, des rituels et des traditions, des fondements et des maîtres, des vibrations et de l'énergie, des émotions, de l'amitié et de l'amour, un mode de vie et un regard singulier sur le monde, un univers à part fruit de cette quête forcée vers des valeurs profondes de la vie et de liberté.
Malgré quelques imperfections - des sous-titres difficilement lisibles en blanc sur le fond blanc immaculé de l'uniforme du capoeiriste - et bien que n'étant qu'un aperçu limité de l'univers de la capoeira, notamment au travers du seul groupe Senzala, ce Dvd n'est en rien une fresque historique, mais un reportage sur la capoeira contemporaine, une invitation au voyage et à la découverte d'autres mondes, une ouverture vers des territoires invisibles pour le commun des mortels, un témoignage et un hommage simple et sincère rendu à la capoeira.