Forever changes

Love

par Francois Branchon le 03/05/2018

Note: 10.0      

En 1967, Love, signé en 66 par Elektra a rapidement acquis un statut dans l'underground californien, rare groupe de Los Angeles plusieurs fois tête d'affiche à l'Avalon Ballroom et au Fillmore de San Francisco. "Forever changes", leur troisième album est une pierre angulaire de leur carrière. La formation est recentrée, passée de sept à cinq membres (exit Tjai Cantrelli et Alban Pfisterer) et passée sous la férule avisée et l'aile protectrice du producteur et ingénieur du son Bruce Botnick (en charge cette même année des Doors, de Tim Buckley et du Butterfield Blues Band).

"Forever changes" est digne de tous les superlatifs. Malgré le départ de deux musiciens, le son garde toute sa richesse. En partie grâce à un arsenal d'instruments baroques et exotiques, du violoncelle, du cor, des finger cymbals et même du clavecin. On y entend des chansons aux titres aussi follement lysergiques que "The good humor man he sees everything like this", "The daily planet", la composition de Bryan McLean "Alone again or", le carré, speedé et léger (le tout en un, un secret Love) "Bummer in the summer", "A house is not a motel" et son riff-relance de guitare à mi-parcours ou encore "You set the scene", drivé par un surprenant duo basse/violoncelle.

Si musicalement "Forever changes" est parfait, un classique, un immortel, avec son style élégant et son architecture si gracile qu'elle semble bâtie sur du sable, il regorge cependant de textes cryptés et pleins de désillusion, et s'il s'agit d'un des testaments des sixties californiennes, il est clair à posteriori que ce ne sont pas celles du Monterey hip, mais plutôt celle des cercueils rapatriés quotidiennement du Vietnam et des paradis virant aux cauchemars artificiels (Arthur Lee était bien placé), une prémonition d'Altamont (1969). "Forever changes" crépuscule du summer of love.

Love s'est certes installé dans l'Histoire comme une légende, mais cette histoire là est récente, quand ils sont devenus une coqueluche indie (avec Nick Drake) à la fin des années quatre-vingt. De son vivant Love n'a connu que l'underground, le cross-over n'ayant malheureusement jamais eu lieu.
De multiples raisons furent avancées : les grandes tensions entre les membres du groupe dès le départ, Arthur Lee s'offrant une superbe bagnole avec l'avance de 5000 $ d'Elektra (gratifiant ses collègues d'un billet de 100), Arthur Lee convoquant des musiciens de studio au temps des sessions du deuxième album "Da capo", Arthur Lee ne laissant guère son guitariste Bryan McLean s'exprimer (avec regret, quand on voit la qualité de ces démos refusées par Lee, publiées sur les albums posthumes de McLean), Arthur Lee et ses problèmes de poudre. On a aussi suggéré que le succès planétaire des Doors, leurs camarades de label et de producteur, leur jetait une ombre un peu trop large. En conséquence, Love (sous cette forme) cesse d'exister à la fin 1968. "Forever changes" un chant du cygne.

Pour fêter ses cinquante ans, "Forever changes" fait l'objet d'une réédition Rhino hors-normes, un splendide coffret Deluxe au format LP, avec 4 CD (CD 1 l'album stéréo, CD 2 l'album mono, CD 3 l'album mixé différemment, CD 4 les singles et les chutes), le LP vinyle stéréo et un DVD audio du mix stéréo.

Mastérisé par Bruce Botnick en personne, le son est tout du long magnifique. Le livret qui accompagne le LP est tout aussi magnifique, très documenté sur les sessions studio de l'enregistrement, avec notamment les noms - absents du vinyle original - des musiciens additionnels, en particulier les membres éminents du Wrecking Crew* (le batteur Hal Blaine, la bassiste Carol Kaye, le guitariste Billy Strange).

Quant aux inédits, la majorité d'entre eux figuraient déjà dans une première réédition remastérisée par Rhino en 2001 : "Wonder people" (moyen), les deux titres du single de juin 1968, face A "Your mind and we belong together" (excellent malgré sa structure en foutoir), face B "Laughing stock", la démo "Hummingbirds" (en fait version instrumentale de "The good humor man he sees everything like this"). On trouve en plus la version backing track de "A house is not a motel", qui même sans vocaux garde tout son potentiel (à voir ci-dessous).

Cinquante ans plus tard, le son de Love n'a pas vieilli, pas pris la moindre ride comme on peut le dire de celui des Doors ou de Tim Buckley. Le fruit du hasard ou la marque du génie de Monsieur Botnick...?


* Pour une petite histoire du Wrecking Crew, se référer à la chronique de Mort Garson, publiée ici en mars 2018.



LOVE Bummer in the summer (1967 Audio seul)



LOVE Alone again or (1967 Audio seul)



LOVE A house is not a motel (1967 Backing track)




Publicité Warner sur Sunset Blvd en 1967
Publicité Warner sur Sunset Blvd en 1967