21st Century Man

Luke Haines

par Jérôme Florio le 21/12/2009

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Suburban mourning


Que faire après avoir accouché de son chef-d'oeuvre ? Avec autant d'honnêteté que d'orgueil, Luke Haines pose lui-même la question sur "21st century man". Réponse possible : essayer d'en écrire un autre.

La sortie du fier et racé "New wave" des Auteurs commence à dater, c'était en 1993. Après ce coup de maître, Haines n'a eu de cesse de se démultiplier : il a brouillé son parcours au risque de démoraliser les fans de la première heure, soit en durcissant le son ("After murder park" des Auteurs produit par Steve Albini, le projet Baader Meinhof) ou en l'amollissant de manière perverse grâce à la voix de Sarah Nixey (trois disques avec Black Box Recorder). Une attitude de saboteur, comme le souligne le titre de ses mémoires parues début 2009 ("Bad vibes - Britpop and my part in its downfall", ed. William Heinemann).

Pour Luke Haines, le fiel est le meilleur fuel : il n'a jamais cessé de régler ses comptes avec l'Angleterre et sa culture populaire, ce qui a parfois pris une tournure un peu hautaine ("The Rubettes", sur "How I learned to love the bootboys", 1999). "England made me" : ce titre du premier disque de Black Box Recorder pourrait encore convenir comme un gant à "21st century man", qui est un retour sur toute la carrière du songwriter anglais à la plume toujours affûtée. En un peu plus d'une demi-heure, Haines démontre un talent intact de conteur et de musicien : il dose parfaitement fins arrangements de cordes, guitares glam ou bien épaisses, et pop synthétique. Il accroche "Klaus Kinski" et "Peter Hammill" à son tableau de chasse - une longue liste d'admiration ou de détestation sur laquelle figurait déjà la chanson "Andrew Ridgeley" (Wham!). Un certain nombre de références et d'obsessions reparaissent, notamment un attrait pour des formes variées de radicalité : terroriste (le disque de Baader Meinhof, 1996) ou maintenant artistique (les futuristes russes sur "Russian futurists black out the sun").

"English southern man" replace ce nouveau disque dans son écosystème naturel : l'Angleterre, qui colle aux basques, dont il est impossible de s'en défaire. Mais le veut-il seulement ? L'ouverture "Suburban mourning" est implacable dans sa description d'une banlieue grise et exsangue, avec une classe ouvrière qui n'existe plus et dont les descendants vivent davantage courbés que leurs géniteurs. "Working class hero" pour toujours... mais sans empathie. L'Angleterre prolo et bas du front ("Wot a rotter") en prend autant pour son grade que ses dirigeants à l'incurie notoire. La chanson autobiographique "21st century man" ressasse en 6'50 (mais sans surprise), un fonds commun générationnel : le choc Bowie à l'émission "Top of the pops" en 1972 (on pense à "Starman", ou à "Quicksand", sur "Love letter to London"), la destruction du prolétariat par Margaret Thatcher (on est sûr que Haines se serait bien vu manier la guillotine), Marc Bolan (clin d'oeil dans le texte à "Cosmic Dancer", bien sûr à "20th century boy")... et remonte même d'une génération avec les années 30, la guerre...

Luke Haines a en partage avec d'autres artistes anglais cette relation compliquée avec son pays, qui est un moteur puissant de son inspiration. Pour conclure la chronique de ce "21st century man" en forme de bilan d'étape, on détournera le titre d'un disque de Morrissey (qui a choisi depuis longtemps l'exil, ce qui ne lui réussit pas forcément artistiquement...) : Viva Haines ! 



LUKE HAINES 21st century man (Live Rough Trade East, 12/11/2009)