Hold a match for a gasoline world

Luke Temple

par Jérôme Florio le 10/09/2006

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Private shipwreck
Mr. Disgrace
Only a ghost
Make right with you
Old New-york


"Le folk, lui, est bien vivant !" : c'était la réponse du rusé Mick Jagger à la question "le rock est-il mort ?" que lui avait posé le magazine Rock&Folk il y a dix ans. L'héritage folk classique fleurit aujourd'hui comme rarement, à travers une génération qui en fait un art fragile, luxuriant et intime. Sufjan Stevens, M Ward, Laura Veirs, Tom Brosseau, Luke Temple : chez tous ces jeunes gens, on sait ce qu'on doit aux aînés sans pour autant se sentir obligés de s'agenouiller.

Comme le Dylan des débuts, la musique de Temple est celle d'un jeune homme qui a beaucoup vécu pour son âge ; comme lui, il s'est senti aimanté par l'appel de New-York, en passant par nombre de petits boulots provinciaux puis une école d'art, avant d'y arriver. Bien que "Hold a match for a gasoline world" puisse laisser supposer des intentions incendiaires, on n'a pas l'impression que Luke Temple veuille tout faire péter. Mais devant les qualités d'écriture qu'il démontre, c'est nous qui cédons – peu importe que le disque souffre d'un certain manque de cohérence (il date d'avril 2005 et consiste en une version augmentée de son premier EP), et par moments d'une production pas à la hauteur. Temple réussit des petites prouesses d'arrangements : le marching-band jazzy et guilleret de la miniature "Someone, somewhere" tient la comparaison avec Sufjan Stevens. "Get deep, get close" se laisse porter par une rythmique western à la Calexico, quand tout se tait pour laisser parler des flûtes essouflées qui seraient plus à leur place sur un disque de Mark Hollis (et qui s'invitent régulièrement sur le disque). On craint par moments un virage trop carré ("In the end"), ou bubble-gum (les claviers moëlleux, genre Air ou Grandaddy, de "Radiation blues", "Blue britches"). C'est avec "Private shipwreck" que Luke Temple réussit le mieux l'exercice pop-rock, dans l'esprit du "Figure 8" d'Elliott Smith.
On tombe définitivement sous le charme avec les titres acoustiques : Luke Temple pourrait être le petit frère du regretté doux-dur de Portland, avec les arpèges de "Mr. Disgrace" à l'aisance mélodique qui met du baume au coeur (une évidence à l'écoute ressentie la dernière fois pour "Jenny Wren" de Paul McCartney). Ou bien le petit-fils du "only living boy in New-York" de Simon & Garfunkel (le fondant "Old New-York").

"Make right with you" porte la marque des vieux blues en finger-picking, "To all my good friends" et "Only a ghost" sont chantés avec sensibilité et recueillement. Le bois dont est fait l'écriture de Luke Temple est encore un peu tendre, mais sa force qui puise loin en arrière est son meilleur atout pour des lendemains qui chantent.