Previsao do tempo

Marcos Valle

par Fabien Gabaig le 21/10/2013

Note: 9.5    
Morceaux qui Tuent
Mentira
Previsão do tempo


Le label de Seattle Light in the Attic fut le premier, il y a de ça quelques années, à ressortir les disques de Sixto Rodriguez - un travail de réédition qui a contribué à remettre le chanteur des 60's sur le devant de la scène et peut-être aussi motivé les réalisateurs du documentaire "Sugar Man", projeté sur nos écrans récemment. Dans un esprit similaire, le label réédite quatre albums de l'artiste brésilien Marcos Valle, quatre albums du début des années 70, qui fut sa période la plus prolifique. Ce choix est d'autant plus pertinent qu'il permet de mettre en lumière l'oeuvre d'un artiste mystérieusement sous-estimé. Bien moins connu que Jobim, ou encore les tropicalistes Gilberto Gil et Caetano Veloso, Marcos Valle est en effet l'un des musiciens brésiliens les plus passionnants de cette époque. Pour preuve la richesse et l'inventivité qui circulent tout du long des quatre disques en question, enregistrés coup sur coup entre 1970 et 1973. En l'espace de quelques albums, les frères Valle (Marcos à la composition et Paulo Sergio en tant que parolier) créèrent un nouveau son et inventèrent la pop brésilienne moderne, une pop qui mélangeait pour la première fois bossa nova, baião (musique traditionnelle du Nordeste), samba et des influences étrangères, notamment US, telles que jazz, rock, soul et funk.

"Previsão do tempo" (1973), qui est le dernier album de la série, est sans nul doute un des sommets de la pop brésilienne. Au programme : des synthés à la Herbie Hancock, de la bossa, de l'expérimentation à tous les couplets et le groove carioca qui tourne légèrement au ralenti, comme pour indiquer - mais sans insistance - qu'il se passe quelque chose de bizarre aux alentours de Rio. L'album marque la rencontre de Marcos Valle et du groupe Azimuth dont le son à la fois jazz, funky et électronique fait ici des merveilles. La plupart des chansons sont la manifestation d'un état de grâce, d'une osmose parfaite entre le jeu et les compositions de Valle et les vibrations magiques distillées par le clavier d'Azimuth Jose Roberto Bertrami. L'instrumental "Previsão do tempo" - que l'on peut traduire par "prévision météo" - est certainement le meilleur exemple de cette radieuse entente. Les deux musiciens, en duo aux claviers, parviennent à déployer durant quatre minutes un entrelacs de mélodies pleines de douceur et de retenue, nimbées d'une étrange nostalgie, qui sont peut-être le coeur secret de ce disque, son non-dit et sa part de refoulé. Je dis coeur secret car la tristesse qui émane de ces "prévisions", en rapport avec le temps qu'il fait ou qu'il va faire, est évidemment à mettre en regard du contexte politique de la décennie.

Le disque, sorti au Brésil en pleine dictature militaire, en plus de ses qualités musicales évidentes et d'une poignée de hits internationaux (les très dance floor "Nem paleto nem gravata" et "Mentira" par exemple) est en fait un document captivant pour tous ceux qui s'intéressent à l'art de contourner la censure. Il faut ici souligner le remarquable travail de réédition fait par le label. Outre un vinyle de 180 grammes et une pochette gatefold reproduite à l'identique, le disque de Light in the Attic comprend également un passionnant livret où Marcos Valle revient sur chaque morceau, en explique l'histoire et le sens caché. Si l'album est au premier abord très printanier et funky, on découvre en lisant les commentaires qu'il s'agit aussi d'un disque engagé et foncièrement politique, qui n'hésite pas à critiquer le gouvernement en place. Comme l'expliquent les notes du livret, beaucoup de paroles, apparemment inoffensives, sont en fait à double sens - un style qu'illustre parfaitement la pochette, une photo aux tons azurés de Marcos Valle sous l'eau, en apnée au fond d'une piscine, image qui pouvait passer pour anodine aux yeux de la censure mais qui représente aussi l'état d'asphyxie dans lequel se trouvait le pays, pour ne pas dire la menace de torture réservée aux dissidents et autres prisonniers politiques.

Tout est là, à lire entre les lignes. On nous parle d'équipe de foot mais il s'agit du gouvernement critiqué sur un air de samba. On croit écouter un nouveau tube à la radio mais c'est de l'argot, et la chanson un hymne clandestin contre la police et les escadrons de la mort sévissant à Rio. Allier science du groove et contestation en pleine dictature militaire, dans un format pop et grand public, est une des grandes prouesses de ce disque. Trop méconnu en Europe, "Previsão do tempo" peut être considéré sans exagération comme un classique de la chanson brésilienne. Un chef-d'oeuvre à redécouvrir.