Le label de Seattle Light in the Attic
fut le premier, il y a de ça quelques années, à ressortir les
disques de Sixto Rodriguez - un travail de réédition qui a
contribué à remettre le chanteur des 60's sur le devant de la scène
et peut-être aussi motivé les réalisateurs du documentaire "Sugar
Man", projeté sur nos écrans
récemment. Dans un esprit similaire, le label réédite
quatre albums de l'artiste brésilien Marcos Valle, quatre albums du
début des années 70, qui fut sa période la plus prolifique. Ce
choix est d'autant plus pertinent qu'il permet de mettre en lumière
l'oeuvre d'un artiste mystérieusement sous-estimé. Bien moins connu
que Jobim, ou encore les tropicalistes Gilberto Gil et Caetano
Veloso, Marcos Valle est en effet l'un des musiciens brésiliens les
plus passionnants de cette époque. Pour preuve la richesse et
l'inventivité qui circulent tout du long des quatre disques en
question, enregistrés coup sur coup entre 1970 et 1973. En l'espace
de quelques albums, les frères Valle (Marcos à la composition et
Paulo Sergio en tant que parolier) créèrent un nouveau son et
inventèrent la pop brésilienne moderne, une pop qui mélangeait
pour la première fois bossa nova, baião (musique traditionnelle du
Nordeste), samba et des influences étrangères, notamment US, telles
que jazz, rock, soul et funk.
"Previsão do tempo" (1973), qui
est le dernier album de la série, est sans nul doute un des sommets
de la pop brésilienne. Au programme : des synthés à la Herbie
Hancock, de la bossa, de l'expérimentation à tous les couplets et
le groove carioca qui tourne légèrement au ralenti, comme pour
indiquer - mais sans insistance - qu'il se passe quelque chose de
bizarre aux alentours de Rio. L'album marque la rencontre de Marcos
Valle et du groupe Azimuth dont le son à la fois jazz, funky et
électronique fait ici des merveilles. La plupart des chansons sont
la manifestation d'un état de grâce, d'une osmose parfaite entre le
jeu et les compositions de Valle et les vibrations magiques
distillées par le clavier d'Azimuth Jose Roberto Bertrami.
L'instrumental "Previsão do tempo" - que
l'on peut traduire par "prévision
météo"
- est certainement le meilleur exemple de cette radieuse
entente. Les deux musiciens, en duo aux claviers, parviennent à
déployer durant quatre minutes un entrelacs de mélodies pleines de
douceur et de retenue, nimbées d'une étrange nostalgie, qui sont
peut-être le coeur secret de ce disque, son non-dit et sa part de
refoulé. Je dis coeur secret car la tristesse qui émane de ces
"prévisions",
en rapport avec le temps qu'il fait ou qu'il va faire, est évidemment
à mettre en regard du contexte politique de la décennie.
Le disque, sorti au Brésil en pleine
dictature militaire, en plus de ses qualités musicales évidentes et
d'une poignée de hits internationaux (les très dance floor "Nem paleto nem gravata" et "Mentira"
par exemple) est en fait un document captivant pour tous ceux qui
s'intéressent à l'art de contourner la censure. Il faut ici
souligner le remarquable travail de réédition fait par le label.
Outre un vinyle de 180 grammes et une pochette gatefold reproduite à
l'identique, le disque de Light in the Attic comprend également un
passionnant livret où Marcos Valle revient sur chaque morceau, en
explique l'histoire et le sens caché. Si l'album est au premier
abord très printanier et funky, on découvre en lisant les
commentaires qu'il s'agit aussi d'un disque engagé et foncièrement
politique, qui n'hésite pas à critiquer le gouvernement en place.
Comme l'expliquent les notes du livret, beaucoup de paroles,
apparemment inoffensives, sont en fait à double sens - un style
qu'illustre parfaitement la pochette, une photo aux tons azurés de
Marcos Valle sous l'eau, en apnée au fond d'une piscine, image qui
pouvait passer pour anodine aux yeux de la censure mais qui
représente aussi l'état d'asphyxie dans lequel se trouvait le pays,
pour ne pas dire la menace de torture réservée aux dissidents et
autres prisonniers politiques.
Tout est là, à lire entre les lignes.
On nous parle d'équipe de foot mais il s'agit du gouvernement
critiqué sur un air de samba. On croit écouter un nouveau tube à
la radio mais c'est de l'argot, et la chanson un hymne clandestin
contre la police et les escadrons de la mort sévissant à Rio.
Allier science du groove et contestation en pleine dictature
militaire, dans un format pop et grand public, est une des grandes
prouesses de ce disque. Trop méconnu en Europe, "Previsão do
tempo" peut être considéré sans exagération comme un classique
de la chanson brésilienne. Un chef-d'oeuvre à redécouvrir.