3968 CR 13

Massilia Sound System

par Francois Branchon le 30/04/2000

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Y'a des fois
Bouteille sur bouteille
L'éclat de la rose


Le dixième album de Massilia Sound System s'ouvre avec une vieille chanson de Marcel Pagnol et Vincent Scotto, prétexte à présenter en finesse la 2CV du papet et son million de kilomètres. Ainsi débute une véritable petite saga poétique. Car au-delà de l'étiquette musicale (est-ce du ragga, du reggae, de la chanson, du folklore, du hip-hop...?), "3968 CR 13" est une épopée des mots. Depuis la sensualité de "Pauvre de nous" et son refrain "plein de seins, plein de fesses" (fallait oser !), le reggae chaloupé de "Bouteille sur bouteille", traditionnel américain repris en son temps par Bob Marley, "Elles ont des pilotis", un foutage de gueule bien vu sur les pompes des filles (qui rappelle au passage les vertus essentielles de la vie au soleil : pétanque, cinéma et triple Casa), "Y'a des fois", LE joyeux ragga de l'été qui emporte tout sur son passage (basses démoniaques et texte au cordeau percutant), "Tout le monde ment", exercice de style autour du mot "ment", qui, évidemment, n'évite pas le gouvernement, ni Chevènement, "Quand j'étais minot" ou l'art de la comptine revisité ("moi quand j'étais minot je volais des bonbons, maintenant je suis grand j'attaque les fourgons", "moi quand j'étais petit je trichais tout le temps, maintenant j'ai grandi et je suis président"...). L'art de Massilia est tout entier résumé dans "L'éclat de la rose" (...et la fraîcheur du jasmin) : la chanson d'Alibert de 1933, samplée et rhabillée d'une rythmique hip-hop, agrémentée de nouvelles paroles-dialogues, transposée en scène d'un film de De Sica des années soixante, avec son dragueur minable en bagnole poubelle qui se prend une belle bâche ("Et t'as la bagnole au moins ?", "Vas-y avec ta cousine dans ton ravin"), retrouve une fraîcheur et une émotion fondantes. Sans jamais perdre de vue ses vertus cardinales - ouvrir sa gueule (pour revendiquer juste), le chichon (pour se faire du bien) et la drague (parce qu'on est du Sud) - Massilia emballe le tout avec humour, fait preuve d'éclectisme musical dans les arrangements, place avec science ses vocaux (parlés ou chantés) et tente une diagonale entre Marseille et l'Occitanie (historiquement le Rhône est une frontière), s'affirmant plus "du Sud" que "de Marseille" (et pas de couplet sur l'OM ça repose !). Massilia chante ainsi certains morceaux en langue d'Oc et se réfère à quelques figures locales, l'emblématique occitan Joan Pau Verdier entre autres (l'auteur de "T'amarai", "La vielha" et traducteur de Ferré - "Ni Diu, ni mestre" - qu'attend Universal pour le rééditer ?! -). Les films de Robert Guediguian et surtout les bouquins de Jean-Claude Izzo donnent à "goûter" Marseille. Massilia aussi, y ajoutant une jouissance effervescente. Avec le retour des chaleurs, Massilia est bien placé pour faire le parfait disque de l'été, peut-être pas avec l'universalité du "Clandestino" de Manu Chao mais qui sait...