Les seigneurs du chaos

Michael Moynihan & Didrik Søderlind

par Sylvain Zanoni le 15/08/2005

Note: 5.0    

Écrire un bouquin sur un sujet aussi brûlant et controversé que le black metal et ses acteurs n'est jamais une entreprise facile, surtout quand on se veut exhaustif et impartial. C'est le cas des  "Seigneurs du chaos", qui depuis 1998, tente de s'imposer comme ouvrage de référence limite encyclopédique sur le sujet. On le découvre ici dans sa version 2005, revue et augmentée.

Première constatation rapide après feuilletage du pavé : il ne s'agit pas d'un livre sur, mais autour de la musique. La devise de l'éditeur Camion Blanc ("L'éditeur qui véhicule le rock") suggère le contraire, mais on a plutôt ici à faire à du colportage de ragots, aussi croustillants soient-ils. Les auteurs donnent le ton dès les premières pages : c'est un travail purement journalistique que voici, qu'on ne s'attende pas à lire une analyse stylistique et critique du black metal – que l'on pourrait résumer à un hard rock satanique obscur et violent - mais plutôt une anthologie souvent racoleuse des faits divers qu'on lui impute plus ou moins justement.

D'ailleurs il semble que les auteurs ne comprennent pas grand-chose à ce style de musique et au rock en général. La première partie du livre, très dispensable, tente de situer les origines du black metal dans la musique du 20e siècle. Ainsi, on apprend avec le plus grand sérieux que Robert Johnson, en vendant son âme au diable, devint le premier musicien sataniste et que Led Zeppelin faisait du heavy metal. Curieusement, on ne lit pas un seul mot sur Iron Maiden et son album de 1982 "666 The number of thé beast" qui déclencha à l'époque un soulèvement de bigotes. En positionnant Celtic Frost, Bathory, Black Sabbath, Venom et Mercyful Fate comme les pères du style, Michael Moynihan et Didrik Soderlind marquent des points, mais s'arrêtent trop rapidement à l'imagerie sans comprendre que la quasi-totalité des groupes se revendiquant du grand cornu sont soit de jeunes rebelles au grand cœur, soit des suiveurs à l'imagination ratatinée.

Exception faite du fameux "Inner Circle" norvégien, qui constitue le principal sujet d'étude du bouquin. Ce cercle anti-chrétien très fermé, qui fut le berceau du Black, regroupait des formations pionnières telles que Immortal, Dark Throne, Emperor, Mayhem et bien sûr Burzum, dont le leader, Varg Vikernes et son visage d'éternel ado, s'imposa comme le représentant le plus extrême. On trouve de nombreuses interviews de ce dernier et de ses amis de l'époque, ainsi qu'une rétrospective plutôt effrayante des meurtres, incendies d'église et autres profanations qui les menèrent tout droit en taule. Très bien renseignée, coupures de presse et nombreuses photos glauques à l'appui, l'enquête est crédible et dissipe notamment les zones d'ombres qui entouraient le meurtre d'Euronymous, leader de Mayhem, par Vikernes.

Une grande partie du livre est également consacrée à la philosophie et au symbolisme Viking qui accompagne le black metal. Interviewé depuis sa prison, on s'aperçoit que Vikernes est un mec admiré et intelligent, et que son discours sur le paganisme, la mythologie nordique et l'invasion chrétienne tient la route. Ce qui ne justifie bien sûr pas ses penchants néo-nazis, écueil dans lequel les "adeptes" d'Odin et de Thor viennent parfois se fourrer. Mais là encore, les auteurs ne font pas de différence entre imagerie, aussi malsaine soit-elle, et discours politique – qui n'a jamais entendu parler de la collection d'objets nazis de Lemmy Kilmister (Motorhead) ou des bottes SS de Jeff Hanneman (Slayer) ?

Un peu plus loin, un autre intervenant de choix prend la parole : Anton Lavey, grand prêtre du satanisme qui livrait sa dernière interview avant de mourir. Il est amusant de constater son indifférence envers les groupes de black metal qui le vénèrent, préférant Wagner ou Chopin à de la musique qui "ressemble au réacteur d'un avion". Lavey offre une vision plus subtile et respectable du satanisme que les groupes précités, grâce à un discours teinté de références occultes et spirituelles. Ce qui n'est pas le cas des membres d'Absurd, groupe allemand dont le portait conclut le livre sur une note déplaisante. Où comment des jeunes énervés et prêts à tout pour se faire remarquer utilisent la musique comme justification artistique de leurs idées nauséabondes et de leurs crimes, en essayant de copier l'aura mystique et la noirceur poétique qui entourait le "Inner Circle". A la toute fin, on trouve une liste bâclée d'actes anti-chrétiens de par le monde ces dix dernières, dont quelques pages sur les profanations de Toulon, que les auteurs s'efforcent de relier à tout prix au black metal.

Alors c'est sur, "Les seigneurs du Chaos" sont une bible (sic) pour savoir qui a tué qui, qui était ce fameux groupe qui plantait des têtes de cochons sur des pieux et balançait des boyaux dans le public, quel chanteur s'est fait tatouer une croix renversée sur le front etc. Mais au fond, est ce qu'on ne s'en fout pas un peu ? N'aurait il pas été préférable de donner une autre image du metal, qui est déjà le mouton noir des radios, des médias et des cercles artistiques en général ? Pourquoi ne pas avoir parlé des fabuleux albums d'Immortal, de Primordial ou de Gorgoroth dont la froideur et l'inimitié ne sont que la reproduction de la nature qui les entoure ? Ou est passée l'immense majorité des groupes black metal pacifistes ? Dans leur volonté de rester objectif, Moynihan et Soderlind en sont arrivés à s'allier à l'opinion populo-médiatique faite de mépris, de voyeurisme et de désinformation. Ainsi pour eux le black metal c'est du bruit, l'énergie qu'il dégage est forcément négative et la plupart de ses représentants sont de fieffés attardés. Mais il y a plus dérangeant encore : c'est leur propension à prendre parti pour les défenseurs du christianisme, en qualifiant le satanisme de "mal absolu", en mettant une majuscule à "Seigneur" et une minuscule à "diable", ou encore en dénigrant la culture païenne (dont l'étymologie vient du mot "paysan") et druidique si passionnante. On aurait également aimé lire plus d'éléments sociologiques, la Norvège étant réputée pour l'incroyable liberté qui est laissée aux jeunes, son taux de suicide parmi les plus élevés du monde et son climat si particulier.

On a trouvé les Charles Villeneuve du black metal, il serait temps que de véritables amateurs se lancent dans une contre-étude artistique sincère. Et si possible, avec une traduction française moins morne que celle des "Seigneurs du chaos", qui achève de nous laisser un goût amer dans la bouche.