Minneapolis (par Sophie Chambon)

Michel Portal

par Sophie Chambon le 04/02/2001

Note: 9.0    

On nous l'a assez présenté depuis l'été dernier, Minneapolis, le dernier Cd de Michel Portal ! Idée originale ou concept du producteur Jean Rochard, la chronique du chef d'oeuvre annoncé a tourné au règlement de compte pour ce musicien qui n'aura jamais cessé de déranger. Portal, l'homme aux mille expériences et au souffle unique. Un homme de préférences, qui a voulu s'affranchir jadis de la filiation noire, aux temps mythiques de Châteauvallon, de Splendid Yzlment. Aujourd'hui il part chercher le dépaysement. Au sens propre. A Minneapolis. Qu'est-il donc allé faire dans la cité du Nain Pourpre ? Se frotter à des musiciens étrangers, se faire bousculer par la rythmique princière ? A première vue, le bassiste Sonny Thompson et le batteur Michael Bland, membres du NPG, le pianiste anglais Tony Hymas, qui a joué avec Jeff Beck mais aussi Sam Rivers, le guitariste Vernon Reid (ex-Living Colour) appartiennent à un autre monde. Mais ce n'est pas l'apartheid avec d'un côté les blacks, bêtes de frappe, rigides mécaniques et de l'autre les blancs, frêles intellos ! L'album dans tout çà ? Atmosphère électrique et rap, rythmique vigoureuse, dure et drue et en contrepoint le frémissement, les emportements du soprano, ou de la clarinette basse de Portal. Toujours le même bonheur quand il souffle : dans des thèmes tendres comme ce "Judy Garland", dédicace mélancolique à l'héroïne de "Meet me in St Louis", l'enfant de Grand Rapids pas si loin de la twin city de St Paul-Minneapolis justement. Ou dans la reprise, très critiquée (pourquoi donc au juste n'a-t-il pas le droit de revoir ce thème ?) de l'éternel "Good bye pork pie hat" de Mingus en version étirée, presque susurrée sur tempo funk. Un hommage, retourné en quelque sorte, au plus profond de la clarinette basse. Jusqu'au cri final. Si on veut plus de débordements, des écarts, des éclats de free, dans "Shopping for black shirts", ou sur "On Nicollet avenue" (la rue de leur hôtel). Mais ce sont des violences forcément douces. Des dissonances attendues de la part du Bayonnais. Une échappée libre, un écart dans le funk. Portal n'est lui-même que quand il risque tout, lui qui n'a plus rien à perdre. Ni à prouver. Maintenant et à l'heure qu'il est. Il n'hésite pas à brusquer sa nature, à violenter la musique. Ou plus simplement chercher encore. Avec lui jamais la note n'aura été aussi singulière, incertaine, tendant vers a kind of blue, le bleu du jazz.