| | | par Hugo Catherine le 28/10/2004
| | |
| "Leau matérialise le son, le substantifie, le rend épais, palpable et pénétrable. Lauditeur est libre de le traverser quand il veut, et dy découper des formes mentales personnelles. Le concert subaquatique est un réservoir onirique."
Voici notamment comment Michel Redolfi introduit son premier concert subaquatique en piscine, "Fluide et sonique", en 1981. Ses recherches et ses créations musicales innovent par une redécouverte des modes de perception acoustique de lauditeur. Que cela soit au travers de concerts en situations subaquatiques et aériennes, ou de design architectural de lieux publics, le son parvient à lauditeur via le prisme dune matière, dune substance, dun lieu. Lexpérience sonore se déploie toujours par limaginaire de nos sens.
Dans Vox in vitro, Michel Redolfi rend hommage à la soprano Susan Belling et crée un opéra-réminiscence de lartiste, composé de fragments sonores du monde de la soliste. Les premières représentations de cette création eurent lieu à labbaye Saint Benigne de Dijon en 2000 et furent données dans le noir absolu. Michael Lonsdale en était le maître-poète-conteur de cérémonie, accompagné de "tintinnabuleurs" distillant divers effets sonores au sein de lassistance. Lédition discographique de cette expérience sappréciera donc dans le noir, au plus près de la création matérielle initiale. Cet effet Camera Oscura conduit à une véritable spatialisation acoustique.
"Le calligraphe" nous plonge immédiatement dans une musique de lenvironnement, lopéra souvre sur une obscurité naturelle, une noirceur mystérieuse. Lauditeur peine à dissocier les milieux aquatiques, sous-terrains, aériens qui interagissent au sein dun processus de libération sonore de bruits sourds. Nos sens sont troublés, se superposent : nous apercevons létouffement des sons, nous écoutons linfravisible, le supravisible. Ainsi lécoute, louïe semblent se perdre aux confins du champ visuel.
"Une étoile cachée par sa propre lumière" captive, hypnotise. La voix du chur sextirpe dune spirale téléphonique introductive. Alors la poésie en prose peut opérer et Michael Lonsdale nous conte une histoire de "Lange immobile" ; il poursuit dans "Vox in vitro" avec une digression sur le langage des anges ; dans "Le saut périlleux", la poésie de lange finit par agir comme une trame narrative, tel un songe avec ses errements, ses fugues, ses éclairs soudains, sa noirceur rampante.
La puissance poétique de cet enregistrement tient à ce que les sons semblent évoquer les lieux-mêmes dont ils sextirpent : limaginaire sonore et les représentations imagées se disputent lorigine de notre parcours hypnotique. Lopéra de Michel Redolfi, ses chuchotements discrets, ses voix fracassés, ses onomatopées scindées, ses mots apeurés, ses injonctions silencieuses et ses lancées ébruitées, nous projettent dans une écoute sensorielle. Les images, les représentations de lesprit poursuivent et supplantent les sons qui les révèlent. Limaginaire visuel apparaît telle la pertinence rétinienne du son et du silence. Vagues, vents, pluies, nous imaginons lun pendant que nous entendons lautre, et vice versa.
Cette musique sonde notre puissance bruitiste imaginative, agissant tel un révélateur du système-terre comme système-son. Les éléments humains (voix, sonneries) semblent se fondre dans lunivers des bruits de la nature. Il émerge de cette création une poésie vierge de toute emprise de lhomme ; lopéra noir Vox in vitro semble être linvisible substrat de ce qui subsiste, lorsque, un temps, les parasitismes humains du son sévaporent. Le temps de cette brèche quasi-écologique, les anges passent, repassent, se cachent puis seffacent. |
|
|