Deadly weapons

Minimal Compact

par Jérôme Florio le 16/02/2004

Note: 8.0    

C'est David Bowie, la tête tournée vers l'Est sur la pochette de "Low" en 1977, qui a le premier montré la direction pour la musique des années à venir : son regard glacial a porté loin, dépassant Berlin, survolant l'Europe centrale, pour se poser sur les rivages de Tel-Aviv, en Israël. Un voyage fantastique pendant lequel l'onde de choc du punk se charge parallèlement de libérer les énergies, et se propage jusqu'au Moyen-Orient : message reçu cinq sur cinq par Samy Birnbach, Berry Sakharof et Malka Spigel, qui participent de l'ébullition artistique de la jeune scène israëlienne de la fin des années 70. Avides de tous les signaux qui proviennent d'Europe, ils décident de s'expatrier vers les Pays-Bas pour tenter leur chance. Tout s'enchaîne assez vite : ils signent avec le label belge Crammed (aux côtés de Tuxedomoon, Bel Canto, Colin Newman …) sur la foi d'une démo trois titres, et recrutent un batteur hollandais, Max Franken. Minimal Compact va traverser les années 80, jouissant d'une célébrité semi-clandestine, jusqu'à la fin de l'aventure en 1988.

Le son de "Deadly weapons" (1984), quatrième disque du groupe, nous replonge direct au début des années 80. Pas celles des yuppies friqués : le Mur était encore debout, projetant son ombre portée dans les esprits, interdisant la gaudriole aux groupes classés "arty". En Grande-Bretagne, A Certain Ratio jouait un funk froid, souterrainement travaillé par des percussions venues d'autres continents : la brèche avait été ouverte par "My life in the bush of ghosts" de David Byrne et Brian Eno, reconnu comme l'acte fondateur de la "world-music". Minimal Compact, avec sa rythmique rigide, ses claviers autoritaires et ses touches orientales, s'inscrit dans ce courant et fait montre d'une sensibilité très européenne. A mi-chemin entre Joy Division et les Talking Heads, une danse sérieuse, une étonnante raideur saxonne de la part de ces enfants d'Israël.

Le titre "Deadly weapons" marche au pas, la rage aussi froide que la guerre du même nom. La voix affectée, grave et théâtrale, de Samy Birnbach plane au-dessus de nappes synthétiques ("Losing tracks (in time)") : une dégaine d'agent secret qui tenterait de jeter un œil par-dessus Berlin-Ouest ("Burnt-out hotel"). Des guitares abrasives se jettent contre l'armature rigide et hypnotique des morceaux, essayent sans conviction de s'en échapper ("Nada"). Le dégel se fait sentir sur "The well" et "Not knowing", chantée depuis une cage de verre par la bassiste Malka Spigel : des éléments mélodiques de leur pays natal font surface, lignes de guitare et de violon en demi-tons.

"Next one is real" - deux remix en bonus sur le Cd - est leur seul single sorti aux USA. Minimal Compact n'a jamais vraiment percé commercialement, même si plusieurs de leurs titres ont été des succès underground dans les clubs. Certainement méfiants et rétifs à toute compromission, leur projet était articulé, pensé : une démarche "arty" dans le sens où la pop-music est envisagée comme un matériau d'art contemporain, qui doit résonner avec son temps. Sur un titre du coffret rétrospectif 3 Cd (toujours édité par Crammed) qui vient de sortir, Birnbach (aujourd'hui DJ Morpheus) invente une langue nouvelle, mélange d'hébreu et d'arabe. A la différence du pauvre revival électropop actuel, coquille creuse qui ne sait que rabâcher des gimmicks, ça tient toujours la route.