La tangente

My Concubine

par Jérôme Florio le 12/06/2004

Note: 8.0    

En ces temps de débats autour du mariage, de retour à l'ordre moral, My Concubine (paroles et musique d'Eric Falce) tente l'union contre-nature entre deux parties : la raison et les sentiments. Vouloir faire cohabiter les deux, c'est s'exposer à des petits arrangements avec la réalité, essayer malgré tout de faire plier le système, quitte à tricher.

Le titre en trompe-l'œil "Comme Knox Johnston" recouvre une chanson fascinée par Donald Crowhurst, compétiteur mystérieusement disparu du Golden Globe édition 1969 qui "émet des positions imaginaires" alors qu'il ne bouge pas du 35e parallèle. Ode aux perdants magnifiques ("Divin loser") : comme on aime bien se voir chuter dans les yeux d'une autre, Pascale Kendall donne la répartie au chant sur plusieurs titres. Regarde les hommes tomber, mais avec classe et détachement.

My Concubine joue une pop ligne claire, à base de guitares complémentaires et entrelacées. Les textes mûrs et travaillés ambitionnent de revivifier le langage amoureux, en le frottant à des langues à priori étrangères. Cela tourne parfois à l'exploration scolaire d'un champ lexical (l'environnement sur "Ecoloving système"), mais ailleurs c'est réussi : "La tangente" et ses ellipses murmurées sur le bout des lèvres vampent les mathématiques, "Les sorcières de Salem" le paranormal et les légendes. Curieuse dichotomie, union des contraires. Dommage qu'on ne puisse pas mettre les sentiments en équations, pour éliminer les inconnues qui rongent les couples ("A vif").

Les signes liés aux années soixante abondent. Le batteur s'appelle Pete Sputnik ; la pochette au look rétrofuturiste ; le Golden Globe 1969, année érotique : Eric Falce a dû beaucoup écouter Serge Gainsbourg. Cela s'entend dans sa façon de poser la voix, de faire contenir toute la chanson dans son titre – Gainsbourg disait qu'il trouvait d'abord le titre de ses chansons, puis filait la métaphore dans le texte. Le dialogue masculin-féminin sur "Le hasard et la nécessité" fait penser aux duos avec Birkin, "Ex-hippie" peut passer pour une imitation cuir de la "Harley-Davidson" de Bardot ("C'est dans du skaï que j'irai au ciel" – et ces jeux de détournement des sonorités anglophones).

Au fond ravi de son romantisme de dandy loser ("Maudit petit ange"), Eric Falce émaille ses textes de références cinématographiques et poétiques : les dents de vampire de Bela Lugosi, "Le ciel peut attendre" (écrit "peut t'attendre") de Lubitsch dans "Perdus en hiver", qui est comme le film un appel à jouir de la vie. "Les nerfs à vif", de John Lee Thompson puis Martin Scorsese. Ou encore, aux extrémités des normales saisonnières, "Une saison en enfer" de Rimbaud et "Un singe en hiver" d'Henri Verneuil. On plagiera le titre d'un autre film, chinois celui-là : bienvenue my concubine.

(Extraits et Distribution sur le site)