Il y a ceux qui font "The Voice" et sont propulsés
stars pour moutons, et les autres, qui tentent de se battre. Qui
passent par la B.D. le punk, des petits boulots d'acteur, la pop, des
groupes velléitaires, l'électro et les concerts chez les
particuliers, juste pour continuer à vivre malgré leur talent
jamais détecté. Nesles est passé par tout ça lui. Aujourd'hui, le
label Microcultures a fini par le trouver et sort son album concept,
magnifique et remarquablement produit par Alain Cluzeau (Thiéfaine,
Olivia Ruiz, Paris Combo...), et qui donne encore envie de croire à
l'existence d'artistes dans le salmigondis trouducutal qu'est
actuellement la scène musicale française.
"Permafrost" est un album unique et beau. Les sons folk
et doucement électro ne révolutionnent certes pas le genre mais
accompagnent parfaitement la voix et les textes. Toutes les chansons
sont d'une farouche beauté poétique et toutes ont vocation à
remporter le prix de l'académie Charles-Cros.
On retient "Tes sentiers",
ballade simple et aux licences poétiques érotiques, où à
l'inverse, "Une île",
chanson brutale qui fait bien sentir que l'auteur en a gros
sur la patate vis à vis de la masse informe qu'est notre monde
actuel. En réalité il est difficile de mettre en exergue une
chanson plus qu'une autre, tant l'album est homogène. Toujours en
rapport avec cette nature brutale dont le permafrost -
terre gelée en profondeur laissant échapper des gaz nocifs en
se réchauffant - est une des plus belles illustrations ("Le
dur,
les
cailloux"
). Tout l'album tourne autour de cette métaphore de la
nature brute, inhospitalière mais néanmoins pure et salvatrice
("Faust au Danube"
).On a cette impression que l'auteur se réveille d'une
longue hibernation, retrouve les sensations de la terre originelle
avant de refuser de retourner au monde actuel tellement laid.("Nü")
La voix et la prose font parfois penser à Thiéfaine. La force
supplémentaire de Nesles c'est de poser sa voix très calmement sans
jamais en faire trop. sans jamais s'énerver même quand le texte est
violent, sans jamais se prendre au sérieux même quand le texte
semble intello. Dernière particularité : on retrouve trois
instrumentaux plus ou moins électro. Ceux-ci, sans être
indispensables. articulent bien l'ensemble avant de le conclure.
"Permafrost" est une magnifique surprise poétique et
inspirée qui espérons fera sortir Nesles du froid sibérien dans
lequel les artistes - les vrais - se gèlent parfois l'âme et le
talent faute de ne pas avoir été au bon endroit au bon moment, ou
faute de ne pas penser comme un mouton.