Sept variations de Lennie Tristano

Oliva Stephan & Francois Raulin, Marc Ducret & Bruno Chevillon

par Sophie Chambon le 28/10/2002

Note: 9.0    

Stephan Oliva et François Raulin se sont déjà exercés dans le disque "For Lennie" à célébrer le pianiste aveugle, pourtant très lucide sur le jazz de son époque. Le pari engagé et tenu par Philippe Ghielmetti du petit label Sketch est de faire connaître les "Variations de Lennie Tristano" telles que les ont rêvées et réalisées les sept mercenaires de la scène actuelle française. On reste admiratif devant le producteur qui a su fédérer les énergies en un projet aussi enthousiasmant qu'audacieux. Pour accompagner le duo de pianistes, il a réuni une rythmique déliée, les deux contrebassistes Bruno Chevillon et Paul Rogers, le merveilleux guitariste Marc Ducret, ainsi que les talentueux souffleurs Laurent Dehors (clarinette, clarinette basse et contrebasse) et Christophe Monniot aux saxophones alto et baryton. La musique de l'auteur du "Requiem" (dédié à Charlie Parker) n'a rien perdu de son originalité. Lennie Tristano a vite intégré les apports de Bird et il les a théorisés, puis a assimilé d'autres avant-gardes, devenant à son tour un "passeur", s'illustrant dans le double registre du concert et de l'enseignement. Ses enregistrements en quintet, ou en trio avec Warne Marsh et Lee Konitz, sont incontournables par le phrasé limpide, l'attaque décidée, les capacités de renouvellement. Car Lennie Tristano s'est employé à réécrire les standards, dans une interprétation inconsciente de la partition, laissant agir la part de l'ombre, dans un jeu constant d'altérations. Dans ce disque miroir, la conversation s'engage sans perdre de temps. Nos compères s'inscrivent avec bonheur dans ce travail précis et serré des arrangements. Leur musique résonne de cette jubilation, profite du rythme constamment déjoué (d'autant plus surprenant, compte tenu de l'absence de batterie), de la vivacité et de la tendresse qu'ils savent incorporer, en révélateurs du désir. Cette traduction française peut prétendre au nom de jazz : elle sait caresser sans perdre sa force, faire entendre son chant sans tomber dans la romance. Ces variations, jamais austères, rendent de façon exemplaire la complexité d'un esprit libre. Un vrai "hommage" en… sept lettres capitales.