| | | par Sophie Chambon le 04/11/2004
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| Claude Barthélémy a réussi son deuxième mandat à la tête d'un bouillonnant ONJ, composé de jeunes musiciens qu'il a choisis, intrépides et furieusement doués. Après un "Admirabelamour" en 2002 plus qu'accrocheur qui nous intriguait en nous montrant un kaleidoscope de tentatives réussies, voici l'heure du couronnement avec "La fête de l'eau" : intelligemment construit, ardent et sensible, cet album, en quinze titres sur un peu plus d'une heure nous fait goûter au bonheur, et constater la vraie qualité d'un big band, que l'on a encore la chance (plus pour longtemps sans doute) d'appeler Orchestre National de Jazz. A l'heure où l'UMJ (Union des Musiciens de Jazz) tonne contre la gabegie du système d'aides, et que les "grands formats" grondent, non sans raison, contre les trop maigres subventions qui leur sont allouées, sort le dernier opus d'un véritable orchestre qui célèbre l'esprit du chant et de la danse et qui a sans doute le tort de porter le titre de "National".
Ce qui ne doit pas faire tourner les têtes pour autant : rien de moins patriotique ou franchouillard dans ces compositions qui franchissent allègrement toutes les frontières, se jouent des limites des genres et de l'hexagone. Barthé l'a assez répété, il veut "une planet-music savante et joyeuse". Et il nous entraîne dans son sillage, réalisant des alliages flamboyants, inattendus mais assurément réussis, car c'est un "écrivain de musique" qui sait mettre en place et (faire) jouer rock, blues, reggae, musiques du monde : de l'Asie (qu'il affectionne) au Jazz. Il s'agit donc d'une "musique de cour" éminemment populaire qui vise juste, et remplit son rôle : séduire et divertir, dans la rupture et le décalage, installant avec humour et bonne humeur une cohérente discontinuité. Un vrai orchestre qui cultive aussi l'art très américain de "l'entertainment" dont peut-être paradoxalement, le morceau le plus révélateur est celui intitulé "Avec titre", un clin-d'oeil facétieux, une bulle légère, en fait une transition qui ne dure qu'une minute seize.
Pourquoi alors ne pas envisager la musique de Barthé dans son ensemble comme une transition perpétuelle que les musiciens se partagent de façon juste et équitable ? Ils ont tous l'occasion de "jouer" et de montrer ce qu'ils savent faire, collectivement d'abord et ensuite individuellement, dans des solos pensés et identifiés comme tels. Ils ne s'en privent pas sur toute la longueur de l'album : tous les titres sont matière à réjouissance et jubilation, en passant d'un rythme à l'autre, dans des structures calculée et drôles. On est tout de suite plongés dans le bain dès le premier titre éponyme, absolument délirant, mais tous les goûts et les couleurs peuvent être contentés : les changements de climats sont au programme, de "Mama Barth Blue" (rien de tel qu'une guitare électrique pour plaire aux filles), à "Oud-oud" (qui démarre comme un film noir pour finir sur une tournerie orientalisante), à l'exubérant "2 bass-beat". Barthé ose même reprendre avec bonheur "Giant steps" de Coltrane sans que l'on ne frémisse, si ce n'est d'aise. Quand Charlène Martin se lance dans "J'ai la mémoire qui flanche", ce n'est pas pour plagier Jeanne Moreau, elle entraîne sans hésitation avec les musiciens dans sa valse troublante finissant dans un pur vertige instrumental .
On entend de la musique dans cet album, du vrai jazz, de ce jazz qui tisse d'innombrables références, sans renier ses racines comme dans ce blues final archi-classique, enthousiasmant de simplicité maîtrisée, juste relevé de traits sensibles à l'accordéon. Savourez cet ultime album d'un grand ONJ d'une évidente clarté, une totale réussite de la première note au dernier accord. |
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