Paz

PAZ (Caryl Ferey et Bertrand Cantat)

par Thomas D. Lavorel le 02/11/2020

Note: 8.0    

Au printemps dernier, en toute discrétion, paraissait le projet Paz, fruit d'une collaboration entre le romancier Caryl Férey et le chanteur Bertrand Cantat, sur la base d'un roman éponyme écrit par le premier, accompagnés par les musiciens Marc Sens (à la guitare), Paul Girard (aux chœurs, à la guitare, à la basse et aux percussions) et Manusound (aux machines et à la basse). Ce n'est pas seulement une lecture, ou une mise en musique et en voix d'extraits choisis du roman, mais une véritable création, littéraire, poétique et musicale, autour d'une rencontre entre deux êtres, entre deux mondes ou deux univers, que réunissent une pensée, une idée, un drame, une trajectoire partagée le temps d'un voyage.
Paz n'est pas une nouvelle formation musicale ni un album au sens classique, mais un projet, une expérience poétique et musicale, un hybride de littérature et de poésie, un peu à l'écart des circuits de production, distribution et promotion traditionnels.

D'ailleurs, s'il avait fallu attendre que les canaux de propagande culturelle traditionnels et frelatés se fissent l'écho de cette nouvelle création pour en découvrir les couleurs, nous attendrions encore : pas un mot, pas une note, pas une évocation. C'est par hasard, en naviguant sur la toile, que le papillon rouge et noir qui semble figé au-dessus d'un brasier, est venu se poser dans le creux de nos oreilles et nous murmurer le morceau "Ta peau", que l'on peut considérer comme le titre promotionnel. Nous pouvons reconnaître à M. Cantat, outre son talent, qu'il n'est pas question de questionner, l'intelligence et la justesse dont il fait preuve dans le choix de certains de ses projets ; une forme d'ironie de se trouver là où on ne l'attend pas, comme lorsqu'il interpréta le rôle du Coryphée, dans la mise en scène de "La trilogie des femmes", adapté des tragédies de Sophocle par Wadji Mouawad (d'où était sorti l'album musical "Chœur", où l'on retrouve déjà les membres de la formation Détroit qui verra le jour quelques temps plus tard).

La sagesse et l'humilité de l'artiste, qui, loin des vaines tentations de ressusciter un groupe mort ou de créer une nouvelle formation musicale autour de son nom, revient à ses passions, à ses amours premières, à l'ombre du show-business, comme dirait l'autre, à l'écart des scandales et des polémiques dont ce petit monde entre soi se nourrit. De revenir, en somme, par la petite porte, à petit bruit, sans se faire remarquer, avec un travail de qualité.

Les sept titres du projet – dont l'introduction, "Babel", consiste en la répétition du mot "paix" dans toutes les langues – se déploient dans une ambiance aux sonorités post- rock, une atmosphère sombre et brûlante, entre chants et parole déclamée, où nous retrouvons avec une certaine émotion l'énergie tellurique de Bertrand Cantat. Dans la lignée des esquisses expérimentales qui firent la marque particulière du dernier album de Noir Désir ("Des visages des figures", 2001), ou encore de la performance unique enregistrée par le même groupe, à l'occasion d'une carte blanche offerte par France Culture, intitulée "Nous n'avons fait que fuir" - chroniquée par ailleurs dans Sefronia - on regrettera que le projet soit un peu court… Mais il se donne à entendre comme une introduction. Paz se démarque du cirque musical ambiant par son originalité et son énergie, qui, sans rien revendiquer, sont un appel à la vie et un témoignage des combats livrés par une âme dans le seul but de lui répondre, pour retrouver la paix. 



PAZ Ta peau (Vidéo officielle 2020)