Au printemps dernier, en toute
discrétion, paraissait le projet Paz, fruit d'une
collaboration entre le romancier Caryl
Férey et le chanteur Bertrand Cantat, sur la base d'un
roman éponyme écrit par le premier,
accompagnés par les musiciens Marc Sens (à la guitare),
Paul Girard (aux chœurs, à la
guitare, à la basse et aux percussions) et Manusound (aux
machines et à la basse). Ce n'est pas
seulement une lecture, ou une mise en musique et en
voix d'extraits choisis du roman, mais
une véritable création, littéraire, poétique et musicale,
autour d'une rencontre entre deux
êtres, entre deux mondes ou deux univers, que réunissent
une pensée, une idée, un drame, une
trajectoire partagée le temps d'un voyage.
Paz n'est pas une nouvelle formation
musicale ni un album au sens classique, mais un
projet, une expérience poétique et
musicale, un hybride de littérature et de poésie, un peu à l'écart
des circuits de production, distribution et promotion traditionnels.
D'ailleurs, s'il avait fallu
attendre que les canaux de propagande
culturelle traditionnels et frelatés se fissent l'écho de
cette nouvelle création pour en
découvrir les couleurs, nous attendrions encore : pas un mot,
pas une note, pas une évocation. C'est
par hasard, en naviguant sur la toile, que le
papillon rouge et noir qui semble figé
au-dessus d'un brasier, est venu se poser dans le creux
de nos oreilles et nous murmurer le
morceau "Ta peau", que l'on peut considérer comme le
titre promotionnel.
Nous pouvons reconnaître à M. Cantat,
outre son talent, qu'il n'est pas question de
questionner, l'intelligence et la
justesse dont il fait preuve dans le choix de certains de ses
projets ; une forme d'ironie de se
trouver là où on ne l'attend pas, comme lorsqu'il interpréta
le rôle du Coryphée, dans la mise en
scène de "La trilogie des femmes", adapté des
tragédies de Sophocle par Wadji
Mouawad (d'où était sorti l'album musical "Chœur", où
l'on retrouve déjà les membres de la
formation Détroit qui verra le jour quelques temps plus
tard).
La sagesse et l'humilité de
l'artiste, qui, loin des vaines tentations de ressusciter un
groupe mort ou de créer une nouvelle
formation musicale autour de son nom, revient à ses
passions, à ses amours premières, à
l'ombre du show-business, comme dirait l'autre, à l'écart
des scandales et des polémiques dont
ce petit monde entre soi se nourrit. De revenir, en
somme, par la petite porte, à petit
bruit, sans se faire remarquer, avec un travail de qualité.
Les sept titres du projet – dont
l'introduction, "Babel", consiste en la répétition du
mot "paix" dans toutes les
langues – se déploient dans une ambiance aux sonorités post-
rock, une atmosphère sombre et
brûlante, entre chants et parole déclamée, où nous retrouvons
avec une certaine émotion l'énergie
tellurique de Bertrand Cantat. Dans la lignée des
esquisses expérimentales qui firent la
marque particulière du dernier album de Noir Désir
("Des visages des figures",
2001), ou encore de la performance unique enregistrée par le
même groupe, à l'occasion d'une carte
blanche offerte par France Culture, intitulée "Nous n'avons fait que fuir" - chroniquée
par ailleurs dans Sefronia - on regrettera que le projet
soit un peu court… Mais il se donne à
entendre comme une introduction.
Paz se démarque du cirque musical
ambiant par son originalité et son énergie, qui,
sans rien revendiquer, sont un appel à
la vie et un témoignage des combats livrés par une âme
dans le seul but de lui répondre, pour
retrouver la paix.