Minotaure

Pierre-Yves Berenguer

par Hugo Catherine le 29/10/2004

Note: 8.0    

Issu d’un spectacle multimédia en trois actes crée en 2002 par Pierre-Yves Bérenguer, "Minotaure" explore, par le prisme du mythe du "Minotaure", le milieu urbain et un de ces éléments vecteurs, le Métropolitain de Paris. Cette transfiguration poétique, des fondations de notre civilisation au bas royaume du labyrinthe citadin, prône une valorisation de l’environnement urbain par le son et l’image. Si l’expérience du spectateur-auditeur de la création matérielle initiale est nécessairement plus totale que celle du simple écouteur de l’édition discographique, la puissance évocatrice du projet transparaît pleinement au fil des morceaux de l’album qui nous projette par la pensée au cœur de l’œuvre première, pluridisciplinaire, interactive et scénique.

Le travail de composition apparaît immédiatement dans "Overture", tant sur le plan harmonique et rythmique – les mouvements, les nuances, les tons s’alternent sans heurts – que spatiale – les effets de traitement sonore se chargent de reproduire la profondeur, la matérialité, l’abysse du lieu premier de création. Cette texture sonore unit les morceaux, dévoile leur souche commune : le magma des sons urbains ; ainsi dans "Labyrinth 01", les sonorités retraitée de la flûte se mêlent aux captations de sons de Métro ; sur "Plaza de toros", une voix vigipirate brigue l’exclusivité de l’espace sonore ; dans "Myth_birth" et "Souterrain", les multiples effets nous plongent dans des grottes, des soubassements, des cavités secrètes où se fondent peur et magie du lieu. Cette urbanité underground constitue le premier temps, le substrat de la musique de Pierre-Yves Bérenguer : en cet espace précis, elle prend son élan, respire, se déploie, comme en témoigne la présence d’interludes sonores, "Translation 01" et "Translation 02", jachères régénératrices de son.

Sur ce terreau composite premier, les nappes instrumentales prennent forme, voici le deuxième temps de "Minotaure". Dans "Myth_birth", le son se ponctue de percussions acoustiques et électroniques, un crescendo de trompette-sourdine fend l’espace, le saxophone soprano lance un flot apeuré au phrasé enlevé. Sur "Métropole", les boucles, les filtres font place à l’irruption d’un quasi-thème rampant de la trompette et du saxophone baryton, à l’allure sporadique mais soutenue par les enchevêtrements des guitares classiques et électriques. De même "Souterrain" libère progressivement les programmations vocales et les cuivres tourbillonnants.

Troisième temps, la rythmique se fait plus assise, les beats s’installent. Le groove rond de "Myth_birth" annonce une phase moins expérimentale où les solistes multiplient les échos aériens. Sur "Plaza de toros", les boucles électroniques s’emparent de l’allure, l’univers urbain transpire de massives intonations jungle ou abstract hip-hop ; Surnagent alors les envolées astrales de la trompette, les mélopées free du saxophone alto. Ainsi le flot devient plus continu ; parfois, même, l’atmosphère se ferait presque sautillante et joyeuse, comme dans "Souterrain" ou "Aube".

Pourtant, bien souvent, la phase terminale des morceaux marque la rappropriation de la bande sonore par les bruits : les sons de rues, de trains, de voix étouffées poussent les riffs naissants à l’extinction. La sourde couche souterraine des sons reprend le dessus. Ainsi la trame mystérieuse de "Minotaure" perdure, la matière sans frontière de la musique de Pierre-Yves Bérenguer résiste à toute classification rythmique ou harmonique. Cette création est ni acoustique, ni électrique, ni électronique. L’atmosphère est ni apaisante, ni effrayante. Les bas-fonds des souterrains urbains se livrent à nous sans vendre leur âme, le "Minotaure" veille.