On avait fait la connaissance de Pollyanna avec "Whatever they say I'm a princess" (2004) : un premier disque qui faisait bien le tour du propriétaire, mais dont la locataire était encore un peu timide, malgré des velléités de sortir de sa chambre aux volets clos. Heureusement, elle s'est fait violence : "On concrete" ouvre grand les fenêtres, et prend le risque de se confronter au monde réel - en y mettant les formes.
"On concrete" est un saut qualitatif important pour Isabelle Casier et David Lopez. Impeccablement enregistré par Stéphane Garry (de Pokett), il nous permet d'apprécier les qualités du groupe à leur juste valeur ; on est ici devant une autoproduction dont l'exigence de travail bien fait établit d'emblée un rapport de confiance avec l'auditeur. Pollyanna rode (à deux) ces chansons depuis un bon moment sur scène : la collaboration étroite entre Isabelle et David est maintenant une base solide, qui leur permet d'avoir une vision plus précise et étoffée de leur musique.
"Chocolate Jesus" est une une histoire sentimentalo-culinaire aux proportions équilibrées : mélancolie, mélodie accrocheuse et chaloupement discret à doses égales. Le tout sans trop de sucre ("I hate sugar and sweets…") : Pollyanna fait dans la sobriété, pas dans la sécheresse. Les textes montrent une carte du tendre qui ressemble à un champ de mines ("It doesn't matter if it hurts…", sur "A landscape"), où l'incertitude domine. Mais ils sont portés par une voix mélodieuse, et une accueillante diversité dans les arrangements : guitares, ukulélé, violoncelle, plus tout un attirail percussif qui dynamise les compositions. "On concrete" conserve la même efficacité pop avec son arpège de banjo entêtant, sa rythmique en roulis et une fin plus tendue. Pollyanna ose maintenant se lancer dans des titres au long cours, comme l'ambitieux et épique "Tristan" : un style qui permet à l'écriture d'Isabelle de s'exprimer pleinement, hors de la traditionnelle structure couplet-refrain. Derrière, les "drunken Juliets" ("Friends") en pâlissent un peu ; l'histoire terrible de "Railroad boy" (reprise d'un traditionnel folk) contraste assez fortement avec les états d'âme plus mesurés que le groupe détaille ailleurs. Les prenantes "Run" ou "Løkken" montrent que David et Isabelle savent créer de l'espace avec simplement l'ajout d'une guitare électrique, ou des flûtes élégantes.
Tristan (sans son Yseult ?), Juliette (sans son Roméo ?), la fille sacrifiée de "Railroad boy"… Isabelle Casier trace une sensibilité dont le fil rouge est assez tragique – et indémodable. Le disque se termine sur un titre plus ancien, comme un dernier coup d'œil dans le rétroviseur pour mesurer le chemin parcouru : dans "Whatever they say I'm a princess" la narratrice se sent à part, rêve de se fondre dans la masse. Ce n'est plus d'actualité pour Pollyanna, qui a remisé les rêves de jeune fille au placard et dont la musique n'a rien d'anonyme.