Two angels for Cecil (Tribute to Cecil Taylor)

Raymond Boni

par Sophie Chambon le 25/04/2001

Note: 9.0    

C'est l'amour du guitariste Raymond Boni pour Cecil Taylor, qui est à l'origine de cette suite de plus de cinquante minutes, créée pendant la rencontre totalement improvisée avec le batteur Eric Echampard. "Two angels for Cecil" fut enregistré sur un magnétophone analogique, à l'Ajmi d'Avignon, en novembre 1998. Boni explique : "Ayant appris la guitare dans le style de Django, les liens avec Cecil Taylor me paraissaient naturels". Il continue : "Cecil Taylor a un jeu à la fois orchestral, polyinstrumental, percussif, très dansant, profond la fulgurance d'un tempérament de fauve". Ce sont exactement les qualités de ce duo magnifique. Boni et Echampard semblent toujours avoir le même plaisir à se (re) trouver, à partager. Une complicité originale et exigeante. Chaque nouvel échange complète le tableau de leurs variations en série. Plus percussionniste que batteur, dans son drumming "ambivalent", Echampard joue à l'envie des timbres et des rythmes qu'il alterne, superpose, redistribue. Dans ses phrases contenues, rondes encore, se dévoile la menace d'une explosion : plénitude de la sonorité, intensité sans vibration, sens de la construction de pièces longues, difficiles, inquiétantes parfois. On se situe très exactement entre l'angle vif et l'arabesque quand Boni joue avec Echampard. Malgré certains effets spectaculaires, la technique n'est jamais prétexte à virtuosité : Boni est un rythmicien hors pair, qui joue avant tout ce qu'il aime, musique manouche, flamenco, jazz. Il explore les lisières, fasciné par le chant, le cri, l'expression libre. Il part du jazz sans jamais le quitter, fidèle à cette musique d'imprévus. Du poignet, par des roulements vertigineux, il effleure à peine les cordes, ou au contraire les attaque, les malmène jusqu'à la déraison. Extrême dans un élan continu de distorsions, de transgressions, il est capable de tout obtenir de son instrument. Le choc sismique, on le ressent avec ce duo étourdissant : ces deux-là devaient se rencontrer, à l'évidence. Poètes de leur matière, à leur manière, incandescente. "Two angels for Cecil", un titre splendide, très juste pour décrire la beauté dangereuse, les fractures de cette musique: la subtilité frémissante du batteur Eric Echampard conjuguée à l'ardeur bouleversante de Raymond Boni. A moins que ce ne soit l'inverse, tant ils permutent les rôles, dans cette évocation lumineuse où tous deux se livrent. A corps perdu.