Tourist

Saint-Germain

par Jean-Guy Amariglio le 23/06/2000

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Rose rouge
Sure thing


Une tendance actuelle dans la musique est la fusion entre les genres, et particulièrement entre les musiques électroniques et le jazz. Saint-Germain fait figure de pionnier en la matière avec "Boulevard" sorti en 1995 chez F Communication, label de prestige dans le monde de la techno. Cinq ans plus tard, "Tourist" sort chez une autre écurie de luxe, mais qui a hébergé pour sa part les jazzmen les plus talentueux de ce siècle, Blue Note. Notre homme jouit donc d'une aura qui lui permet de se démarquer de la kyrielle de compositeurs house, jungle ou encore hip-hop qui ont cédé à la tentation de rajouter des samples jazz ou, mieux, d'inviter des musiciens à taper le boeuf afin de s'acheter une crédibilité qui visiblement leur fait défaut. D'autant plus qu'en esquivant savamment la vague french touch - cinq ans, autant dire une éternité ! - Saint-Germain a eu le temps de concocter cette perle qu'est "Tourist". La formule utilisée est proche de celle de "Boulevard", la plupart des musiciens y figurant déjà : Pascal Ohze à la trompette, Edouard Labor au saxo et à la flûte ainsi qu'Alexandre Destrez aux claviers. Ludovic Navarre - l'âme de Saint-Germain, qui compose et mixe tous les morceaux - s'occupe quant à lui des machines et tient la baguette de chef d'orchestre. Mais en cinq ans, on sent que s'est établie une réelle complicité musicale entre tout ce petit monde et le résultat figure d'ores et déjà parmi ce qui s'est fait de mieux dans le genre. Et si Erik Truffaz son comparse de label, a réussi à capturer l'esprit de la drum'n'bass pour l'introduire dans le jazz, Saint-Germain a fait le chemin inverse : saisir une certaine essence du jazz et l'injecter à forte dose dans la house, musique de danse de cette fin de siècle. En ça, tout en étant extrêmement actuelle, la musique de Saint-Germain semble renouer avec les racines du jazz. A l'instar du "Jazzmatazz" de Guru - autre réussite en la matière, mais avec du hip-hop -, dont il semble partager ce même feeling musical qu'on appelle le groove, la fusion entre les influences musicales est si aboutie que mettre une étiquette sur cette musique est chose vaine et c'est tant mieux; cela prouve que l'essai est transformé. Au final, neuf titres étonnamment cohérents, qui vont du fantastique single "Rose rouge" - jamais de la house n'avais swingué comme ça ! - à "What you think about" et sa ligne de basse funky à souhait. Entre les deux, le groove imparable de "Sure thing" annonce un été à la fois langoureux et torride; sentiment confirmé par le très club "Pont des arts". Mais des morceaux comme "So flute" ou "Land of..." sont là pour rappeler qu'on a entre les oreilles un disque estampillé Blue Note : même les puristes du jazz ne pourront résister au funk latent qui transpire de ces titres. Enfin, "La Goutte d'Or" et "Latin note" nous dévoilent d'autres sources d'inspiration; respectivement les percussions et la musique latine. En fait, la cohésion de cet album vient de ce sentiment de bien-être qui envahit l'auditeur à son écoute; chacun des morceaux qui le compose ayant été ciselé avec amour et patience par Ludovic et sa troupe. Et force est de constater que ces musiciens, contrairement à d'autres également tournés vers l'expérimentation, n'ont pas perdu de vue que la musique, en plus d'être intelligente, se devait d'être agréable à écouter. Celle de Saint-Germain est aussi jouissive pour l'esprit que pour le corps. Du velours pour les oreilles.