Ta-dah

Scissor Sisters

par Jérôme Florio le 29/12/2006

Note: 7.0    

Funk, pop (synthétique, baroque), rock, disco… Avec un sens de l'abattage qui ne recule devant rien, les Scissor Sisters font main basse sur le butin musical des trente dernières années, et le boostent à fond dans le sens festif et sexy - un enfonçage de clou après le carton de "Scissor Sisters" (2004). Si l'étiquette "culture gay" que certains voudraient leur faire porter est un positionnement marketing comme un autre, alors les Sisters occupent le créneau avec talent, en fédérant tous les publics, l'antidote à tous les pitoyables Village People dans l'imaginaire collectif. Groupe mixte, homo et hétéro, la bande à Jake Shears a bien monté son coup – Très Très Bien Monté, sans doute.

"Ta-dah" est un énorme gimmick, outrageusement "camp", et sans aucun cynisme : un fantasme devenu réalité, un miroir déformant pour se voir plus beau. L'illusion est parfaite, avec un sentiment de plaisir coupable à se faire embobiner. Le piano de "I don't feel like dancin'" (co-écrite avec l'Elton John showman, pas celui timide et dépressif des débuts) rappelle "Ces années-là" de notre Clo Clo national, que je ne suis jamais arrivé à encadrer même pour faire la fête - vous voyez quel rabat-joie je suis. Les Scissor Sisters, eux, refusent obstinément la déprime et choisissent de recouvrir la grisaille avec des paillettes. Jake Shears dégaine le falsetto sur "She's my man", réjouissante histoire de transsexualisme sur fond poppy et guitares glam-rock, qui renvoit à l'époque où Dana Gillespie (égérie de David Bowie), chantait "Weren't born a man" (1973). Flonflons, banjo et guimbarde donnent à "I can't decide" une démarche d'entraîneuse qui emballe sans problème. Passé le funk facile de "Lights" et un slow ultra-sirupeux ("Land of a thousand words"), on arrive à mi-parcours comme au milieu d'un repas trop riche, en se demandant comment on va pouvoir avaler une bouchée de plus : la bien nommée "Intermission", qui pastiche Queen avec brio ("A night at the opera"), fait office de trou normand. Mais "Kiss you off", du sous-Blondie mal chanté par Ana Matronic, est fatalement indigeste. "Might tell you tonight" donne l'impression d'entendre un titre du début de l'album joué en vitesse 16T au lieu de 33T. C'est encore l'humour, ou une inconscience salvatrice, qui fait passer la pilule (enfin, façon de parler…) : "Paul Mc Cartney" est un faux hommage à l'ex-Wings (paraît qu'il avait un autre groupe avant…). On marche de bon cœur, au son d'une basse raide à la Devo et quelques bidouillages sonores tout pourris. "Everybody wants the same thing" conclut sur une note rock, dérivée de "Pretty woman" (Roy Orbison).

Sur les derniers titres, Jake Shears prend une voix moins cintrée. Il chante "I wait for you / on the other side" ("The other side", au jeu de guitare à la Andy Summers de Police) : les Scissor Sisters sont encore trop occupés à se regarder dans le miroir pour passer au travers, mais nous tendent un reflet coloré, à l'optimisme pas dupe mais communicatif.