Pentacle

Sophia Domancich

par Sophie Chambon le 04/05/2003

Note: 9.0    

Dès les premières mesures de la suite "Vestiges Pentecôte", on s’immobilise, subjugué, et l’on se surprend à croire à un retour de la grande époque du jazz. C’est dire que, sans tomber dans la nostalgie - ici ni "revival", ni reprise au sens strict - Sophia Domancich ramène et ranime des sensations oubliées : elle réveille et fait aimer encore ce qui a pu décider d’un goût irrésistible pour le jazz. "Pentacle" désigne les cinq branches d’un mystérieux polygone dont la pianiste est le côté féminin affirmé, la part ombreuse qu’elle revendique sans jamais s’imposer comme soliste. L’audacieux batteur Simon Goubert sous-tend l’ensemble, épaulé par Claude Tchamitchian, qui avec l’archet de la contrebasse esquisse dans le long et contrasté "Don’t even think about him" des lignes de chant superbes de clarté. On retrouve toujours avec plaisir à la trompette, Jean Louis Capozzo, insatiable, volubile, lumineux et à l’euphonium (tuba à l’octave inférieure) le singulier Michel Marre, trop rare, qui s’épanche dans une ballade inscrite au programme, un "belchose" plus intimiste. Sophia Domancich, faussement fragile, s’est taillée avec une détermination farouche une place à part dans le monde du jazz : des textures affranchies du trio aux envolées excitantes du quintette plus cuivré, elle s’abandonne élégamment à ses propres rêves, entretenant toujours la surprise, par des changements abrupts de rythme, ou des reprises enchâssées. Jouant de son phrasé lyrique et mélodique, elle s’attarde sur des citations bienvenues qui deviennent récurrentes . Sans suivre un programme prédéterminé, c’est son ressassement travaillé qui lui permet de donner du sens à cette toile qu’elle tisse et trame continûment, telle Pénélope affrontant indirectement ses prétendants, les conduisant à l’égarement ou du moins les forçant à l’équilibre instable. Reculant ses limites en assemblant éperdument des fragments de discours. S’il en est qui ne cherchent pas, car ils pensent avoir déjà trouvé, d’autres se laissent construire par des errances créatives ; et ainsi le pentacle devient étoile, marine ou céleste.