Au long de rivière Fango

Sotha (Catherine Sigaux)

par Francois Branchon le 11/06/2018

Note: 10.0      
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Malgré le battage fait autour de "More" de Barbet Schroeder (1969), et de son suivant "La vallée" en 72 (tous deux sonorisés par Pink Floyd), le véritable vrai film hippie bucolique utopique fut "Au long de rivière Fango", première oeuvre de Catherine Sigaux, alias Sotha, fondatrice avec Coluche, Miou-Miou, Patrick Dewaere, Rufus et Romain Bouteille du Café de la Gare, le grand café-théâtre parisien totalement libre, décalé et insoumis de l'ère pompidolienne (puis giscardienne).

Bulle idéaliste et jouissive, volontairement non située dans le temps, la petite communauté - terme le plus approchant et approprié de l'époque - vit, ou se laisse vivre, de jardins opulents - et déjà bios - en baignades en rivière encaissée (la fameuse Fango, près de Calvi), de rires joyeux en sensualité libre et débridée, tout en revendiquant un esprit libertaire et non-consumériste (les slogans de 68 mis en application).

Tout y parait simple et facile d'accès : c'est à cheval et guitare en bandoulière qu'un Rufus à longs cheveux blonds et son acolyte/copain/amant (on ne sait pas trop et à vrai dire on s'en fout) Ben Mangelschots (plus jamais revu au cinéma) font leur arrivée au petit paradis à la recherche de la mère de Ben (Emmanuelle Riva) venue accomplir là sa liberté en fondant la communauté.

Surprenant par sa fin loin d'un happy end et totalement méconnu, tourné entièrement en lumière naturelle et en son direct, dans une ambiance joyeuse et débraillée, "Au long de rivière Fango", oeuvre pastorale hip loin du chaos du monde et habité de personnages empathiques et accueillants, fait penser à du Rohmer sous Népalais Royal (seule la censure avait proscrit les plans de marijuana sur les côteaux), comme à "Triad" de David Crosby ou "Acapulco Gold" de David McNeil.

Sotha avait pour l'essentiel embarqué là les acteurs-constructeurs-fondateurs du Café de la Gare - qui n'étaient pas encore en 1975 les noms respectables qu'ils allaient devenir : Romain Bouteille (son ex-compagnon), Patrick Dewaere (son mari officiel, qui vient juste de tourner "Les valseuses"), Miou-Miou (en toute récente relation passionnelle avec Dewaere), Elisabeth Wiener, Christine Dejoux, Rufus... le tout cofinancé par Coluche (ex de Miou-Miou). Seule parmi la tribu, Emmanuelle Riva, la sage et intègre adulte, a déjà un grand passé cinématographique.

Sotha, quarante ans plus tard se souvient : "le film se situe dans une  période indéterminée. C'était important pour moi. Je ne voulais pas donner une leçon de vie. Je voulais montrer des gens qui n'en ont rien à foutre de ce qui se passe ailleurs. Coupés du monde. Dans l'esprit qui avait été le nôtre en construisant le Café de la Gare". Et sur le tournage, un rien improvisé : "Tout le monde était conscient de participer à une oeuvre collective et personne n'avait envie de s'arrêter, dimanche ou pas. Je n'ai jamais entendu quelqu'un se plaindre". Le film sera bien accueilli à sa sortie en janvier 1975, hormis par quelques esprits moqueurs : "Toute ma vie, j'ai eu droit à la condescendance d'une partie de la presse sur le thème - “Ils sont gentils, ils ne font de mal à personne, mais ça ne fait pas avancer le monde - Comme si le monde avait besoin d'avancer".




BEN MANGELSCHOTS
BEN MANGELSCHOTS