Fresh from the time coast - The best of 1968-1977

Spirit

par Damien Berdot le 08/03/2010

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Taurus
I got a line on you
Nature's way
The other song
Colossus

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Avec cette compilation, qui regroupe sur deux Cd quarante-trois titres de Spirit, le label australien Raven nous offre un magnifique objet.

De tous les groupes de la West Coast psychédélique, Spirit fut en effet le plus constant - et pourtant les hommages qui lui ont été rendus ne semblent pas encore à la hauteur de son legs. Formé en 1967 par un tout jeune Randy California (17 ans), son beau-père et batteur Ed Cassidy, le chanteur Jay Ferguson, le bassiste Mark Andes et John Locke (le claviériste !), Spirit sortit l'année suivante, chez Epic, un excellent album homonyme. Les six titres qui en sont repris ici apparaissent tous, recul aidant, comme des classiques : "Fresh garbage", avec son riff monté sur percussions et sa ligne vocale noyée d'échos, "Girl in your eye", avec son tempo envasé et son sitar, ou encore "Uncle Jack" (trois compositions de Jay Ferguson) évoquent un croisement entre les Beatles de "Sergeant Pepper's", le premier Pink Floyd et les Doors. Mais dans ce chaudron éclectique viennent aussi se fondre d'autres influences, comme celle du jazz qui colore les solos de piano électrique Rhodes de John Locke. Quant à Randy California, la maturité dont il fit preuve en composant ce "Taurus" empli d'arpèges acoustiques, de cordes et de pincements de clavecin, très éloigné des instrumentaux virtuoses auxquels l'époque était propice, ne laisse pas d'étonner. Jimmy Page sut s'en souvenir... Cependant, la synthèse de cet art est dans "Mechanical world" : "Alabama song" boiteuse, pourvue d'un pont planant, elle ne ressemble à rien de connu.

Du deuxième album "The family that plays together" (1968), encore plus dense que le premier, Raven a extrait "I got a line on you", un morceau de rock écrit par Randy California comptant parmi les plus entraînants des années 60, ainsi que son versant psychédélique : les couplets lents sur "It shall be", le singulier arpège descendant qui ouvre "Aren't you glad" (une curiosité à la composition de laquelle ont participé Brian Wilson et Mike Love), bientôt suivi par un unisson voix/guitare, comme dans les blues de "Mississippi" McDowell... Pour "All the same", on ne sait ce qu'il faut le plus admirer, du riff marqué par le son gras de la Gibson de California à la géniale coda en choeur, en passant par le solo à deux guitares (le plus souvent en tierce) ou le solo de batterie de Cassidy.

Durcissement du son avec le troisième album "Clear" (1968), enregistré plus rapidement et comportant davantage d'improvisations jazz (remarquables) de John Locke. Raven a retenu "New dope in town", une des plus fortes, "Dark eyed woman" et "Ground hog" (annonçant Deep Purple), "So little time" (qui sera repris par Status Quo) et "I'm trucking", signé par John Locke et pourvu d'un riff enthousiasmant.

De l'année 1969, figurent le single "1984", une chanson féroce illustrant le goût de California pour la science-fiction, et, extraits du grandiose quatrième album "Twelve dreams of Dr. Sardonicus" (à classer aux côtés de "Pet sounds" et "Forever changes"), des chansons à dominante acoustique comme "Nature's way", splendide hymne écologique hippie, ou des morceaux à guitares (et cuivres), "Mr. Skin" et "Morning will come". On regrette l'absence des précurseurs : "Love has found a way" et "Space child", ou "Life has just begun", sorte de collage pré-radioheadien et "Soldier", que cloue au sol une nappe de Moog...

"Darkness" est issu de "Feedback" (1972), un album d'après split, sans Randy California, enregistré par Cassidy et Locke avec de nouvelles recrues. Album décent, mais ne retrouvant pas l'esprit de "Twelve dreams" et lorgnant vers le country-rock. La même année, California sortait "Kapt. Kopter and the (fabulous) twirly birds", où l'influence de son premier mentor en musique Jimi Hendrix se révélait pleinement ("Devil", "Rainbow").

Spirit revenait en 1975 chez Mercury, sans Locke ni Ferguson ; California prenait en charge les parties vocales, tout en laissant éclater un style propre à la guitare. Le double album "Spirit of '76" est un enchantement de reverb', de tremolos et de bandes renversées. Des voix lointaines y déclament des paroles hawaïennes ou métaphysiques ("Urantia"). Une rythmique de country-rock classique cède la place à un mur de guitare compressée ("Joker on the run"). Sommet probable : la reprise de "Hey Joe", atmosphérique, bénéficiant des compétences de Cassidy-le-batteur-qui-pouvait-tout-jouer.

"Son of Spirit", paru la même année, a paru moins consistant que son aîné, en raison surtout de l'inclusion de maquettes augmentées d'une boîte à rythmes. Il contient pourtant plusieurs des meilleures chansons de California, présentes ici : "Holy man", magnifique, avec ses arpèges acoustiques et son refrain chanté en choeur ; "Circle", qui débute comme du folk-rock mais annonce finalement les Stone Roses à force de mêler groove et mélodie, "The other song", contenant en germe le "Climbing up the walls" de Radiohead, intégrant également les sons du jazz fusion...

De la production beaucoup plus propre que fut l'album "Farther along" (1976), où ressuscitait presque le Spirit original (seul Jay Ferguson manquait à l'appel) et où régnait une harmonie touchante entre les quatre musiciens (rejoints par Matt Andes, le frère de Mark), figurent la chanson-titre, avec son bel arpège, "Mega star" et sa coda rendue spectaculaire par un changement de rythme, ou encore "Colossus", splendide, qui n'aurait pas déparé sur "Abbey Road".

Enfin, en conclusion de sa compilation, Raven a choisi "Stars are love", tiré de "Future games" (1977). Frustré par le management de Mercury (qui avait refusé la publication d'un live), California décida de livrer son "Metal machine music" à lui, sous la forme de ces "jeux futurs" collant comme dans un rêve conversations radiophoniques, solos fluides et mélodies hawaïennes. Disque de S.F. profondément en avance sur son temps.

Spirit mérite l'écoute (quasi) éternelle de (presque) chacun de ses albums. Mais "Fresh from the time coast" sera la compilation idéale pour les découvrir ou pour emporter avec soi un condensé judicieucement conçu.




SPIRIT Mechanical world (clip 1968)