| | | par Sophie Chambon le 29/12/2006
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| Au départ, une idée toute simple mais lumineuse du producteur du label Minium Philippe Ghielmetti : faire jouer certains standards à ses musiciens de prédilection ayant déjà gravé des albums mémorables pour son ancien label Sketch. Ainsi cette invitation à revisiter des thèmes célèbres s'est concrétisée de mai à octobre 2006 par la sortie de cinq albums de pianistes formidables (Bill Carrothers & Marc Copland, René Urtreger, Bruno Angelini, Giovanni Mirabassi, Stephan Oliva). Il faudra compter avec le dernier disque, offert pour l'achat du coffret et qui à lui seul justifierait cette dépense, au demeurant très raisonnable.
Ces "Huit femmes & l'échafaud" (le titre mérite une explication) constituent un petit bijou : comme le recommandait Arnaud Merlin dans une merveilleuse émission sur France Musique, au siècle dernier, tous les pianistes déjà cités, "suivent le thème" d'Ornette Coleman, "Lonely woman", dont on lit, au passage, les paroles. Se taillant la part du lion, Stephan Oliva, sur plus de la moitié des titres, joue et déjoue les subtilités du thème, dans un geste quasi-pédagogique, jamais seul, toujours en duo avec ses ami(e)s déjà présents sur "Miroirs" l'album précédent.
D'un album à l'autre, on se prêtera au jeu des combinaisons, on cherchera les correspondances : après les "Tentatives" toujours émouvantes de René Urtreger, en un obsédant face à face avec lui-même, il nous livre le dernier morceau du sixième album, "Toute une vie après l'échafaud". Cette réflexion conclusive, émouvante et pourtant enjouée est à l'image de la musique de René, qui, grâce à son producteur a su retrouver le chemin du solo depuis le superbe "Onirica" de 2001.
Bruno Angelini mérite aussi que l'on écoute sa façon très personnelle et audacieuse de revoir les standards. Il l'analyse lui même très bien, "Avec son piano il est entre "cri et percussion". Reprenant l'ordre des titres de "The newest sound around" de Ran Blake et Jeanne Lee, sans peur du silence ou du discontinu, il n'en finit pas de tisser la trame de ces compositions, recherchant des harmonies sombres, plus encore que fantômatiques. Encore que sa "Laura" ou sa vision de la berceuse "Summertime", d'un toucher très délicat, nous arrive à travers une brume lointaine, celle du passé revisité. On peut écouter cet album sans en regarder les titres, ce qui prouve qu'il a, en un sens, gagné la partie : ce disque est à lui et à lui seul, même s'il avoue être entouré et accompagné, "Never alone".
Bruno Angelini nous conte des histoires, et les chansons ne sont pas autre chose. Giovanni Mirabassi nous balade du côté de celles de Brel, de Bernard Dimey, ou Barbara, et, adoptant un parti-pris résolument actuel, il choisit encore Jeanne Cherhal ou Agnès Bihl. Il est bien le plus lyrique, le plus "léger" aussi, surtout si on compare au côté introspectif du duo Carrothers-Copland.
La vision d'ensemble s'impose à l'écoute des six albums : voici une "uvre" élaborée où chaque pièce complète la somme, en s'emboîtant, où les lignes de force se répondent comme le graphisme des pochettes, la griffe du producteur. Dans ce coffret à tiroirs, à miroirs, où le rythme est constamment rejoué, la conversation avec soi même (et avec Monk, Ornette et les autres fournisseurs de standards) se fait conservation digitalisée de moments rares : on ne se lasse pas d'entendre les mêmes morceaux, justement parce qu'ils ne sont jamais les mêmes et qu'au détour d'un solo plus ou moins enlevé, la musique prend son envol. Voilà toute la passion du monde concentrée et réfléchie dans un objet qui résistera à tout, même à son propre déploiement. N'hésitez plus ! |
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