Itinéraire imaginaire

Stephan Oliva

par Sophie Chambon le 30/05/2004

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Cecile seule


Ce qui frappe à l'écoute de cette musique captée à au studio de La Buissonne, c'est avec quelle vivacité elle coule, mêlant aux audaces formelles un travail de fond sur les structures et les rythmes. Et pourtant rien ne surprend dans le présent enregistrement, tout séduit au contraire.

Intelligence musicale, sensibilité frémissante, contenu fortement pensé dans le langage du jazz et de l'improvisation, c'est la musique ardente, grave et intimiste de ce solitaire, hanté par l'univers de ses modèles - Lennie Tristano, Paul Motian, Bill Evans - qui se révèle aussi un pianiste engagé, éclectique, doté d'un désir de partage peu commun. La musique de Stephan Oliva est belle, on le savait déjà, mais on n'avait pas pu la (re)découvrir pleinement depuis dix ans avec les nombreux projets sur les maîtres qui ont marqué son histoire musicale personnelle (c'est d'ailleurs avec l'album " Sept variations autour de Lennie Tristano" que s'est effectuée la première rencontre avec le label Sketch, annonçant la suite à venir, cet "Itinéraire imaginaire"). Car il s'agit bien d'une suite en deux mouvements, composée avant l'entrée en studio pour une formation triée sur le volet : Bruno Chevillon, le compagnon de longue date depuis Jade Visions et le trio avec Paul Motian ("Fantasm", " Intérieur nuit"), les deux soufflants, Jean-Marc Foltz, clarinettiste strasbourgeois qui vient du classique et du contemporain (découvert dans le superbe "Virage facile" sur le label Emouvance), formidable "perturbateur" qui a pour mission d'ouvrir vers d'autres horizons, en compagnie du "baby boomer" infatigable, Matthieu Donarier, jouant cette fois du seul saxophone soprano ; et enfin un drummer aventureux autant que précis, une révélation, le jeune Nicolas Larmignat.

Cette création collective de musiciens de générations différentes, également épris d'intervalles distendus, d'harmonies détournées et de lyrisme anguleux, souligne la confrontation de registres et sonorités, fondées sur une "limite" de la liberté de chacun par sa rencontre avec les territoires de l'autre. C'est tout le dess(e)in de cet itinéraire matérialisé sur la pochette de l'album par la courbe du piano de Stephan Oliva, traversant les plages de chacun de ses partenaires. Seule une écriture soignée, "ouverte" autorise cette libre contrainte qui permet de trouver ses marques tout en prenant des risques, de s'abandonner à certaines initiatives sans craindre la réaction des partenaires, la provoquant même au besoin. Après l'alliance piano-saxophone-clarinette de la "Préface", se noue un échange avec le quintette au complet qui engage véritablement cette longue suite en deux mouvements dont la coupure idéalement se situerait à "Cécile seule". La tension monte avec le bien nommé "Spirales" qui nous enroule dans un vertige jusqu'au "climax" de l'album, véritable fracture. Comment ne pas être troublé puis séduit par l'insistance de ce chant profond qui sous-tend la musique de Stephan Oliva? Ce thème envoûtant qui illustre "Froid comme l'été" (poignant téléfilm de Jacques Maillot sur l'errance d'une jeune mère infanticide) laissera des traces.

Comme d'ailleurs tous les autres titres de cet album unique et singulier qui dévoilent avec un goût piquant pour le paradoxe ("Cercle ouvert", "Résonance d'un silence", "Partance immobile") et un sens aiguisé des nuances, un univers obsessionnel, familier et terriblement attachant. "Itinéraire imaginaire" se conclut sur la signature du pianiste, une sobre "Postface" qui rend acte des transformations de la trajectoire musicale initiale.