A l’heure où
le hip-hop s’affranchit de son image sulfureuse et devient la nouvelle musique populaire, les filles n’ont jamais été aussi nombreuses à participer à son
aventure. Certes, il y a toujours eu des rappeuses célèbres - Foxy Brown, Missy Elliott - mais elles demeuraient une exception dans un milieu régi par un
machisme ambiant et une forte dose de testostérone. Il a fallu attendre le succès
de Nicki Minaj à la fin de la décennie 2000 pour qu’une brèche s’ouvre,
permettant à toute une génération, aussi hétéroclite que possible, de
se faire une place dans le rap contemporain.
C’est cette
histoire qui est narrée par Sylvain Bertot dans la première partie de "Ladies first", des débuts du
mouvement (l’auteur rappelle qu'une femme, Sylvia Robinson, est à l’origine
de "Rapper’s delight", premier hit hip-hop en 1979) à la consécration récente de
Cardi B. De
manière synthétique et documentée, il dresse un portrait nuancé de son sujet,
et ouvre des pistes de réflexion sur les rôle tenus et les messages défendus
par les femmes au sein du hip-hop. Il met l’accent sur la pluralité de ce "rap
féminin" qui n’est pas nécessairement plus sage et moins violent que celui des mecs. En fait, le rap féminin n’est pas une réalité distincte du
reste du mouvement : il suit souvent les mêmes tendances et les mêmes
thématiques, mais en l’adoptant au tempérament et aux aspirations de ses actrices.
Preuves à l’appui,
Sylvain Bertot présente ensuite cent albums marquants. La sélection est
suffisamment pertinente pour que tout le monde y trouve son compte : le
néophyte y découvra quelques classiques réalisés par des filles (les premiers solos de Lauryn Hill, Lil Kim ou Mc Lyte…)
tandis que le fan acharné ne sera pas desservi puisque l’auteur déterre aussi de
petites pépites, "Apprentice to the mystery" de l’Amérindienne Eekwol ou "Schizo" de Dreezy, dont une large partie provient de la dernière décennie.
Il prouve ainsi que les rappeuses ne sont pas condamnées à verser dans la
variété ou le r'n'b pour rivaliser avec leurs homologues masculins.
Les ambiguïtés
du hip-hop se retrouvent aussi sur son versant féminin. Sylvain Bertot met en exergue
le fait que l’image de prédatrice sexuelle qu’ont très tôt affichée les premières bad bitches Lil Kim et
Foxy Brown a contribué à l’émancipation des rappeuses,
et que le rap provocant et pornographique de Cupcakke est avant tout féministe.
Le rap a en fait toujours été intrinsèquement lié aux évolutions des mentalités
dans la société, comme le rock à son époque ; c’est donc en
toute logique que les filles se retrouvent en force aujourd’hui pour démontrer
que le rap n’est pas un genre réservé aux mâles. "Ladies first" en rend compte
avec brio et clarté.
Sylvain Bertot est le rédacteur de "Fake for real", l’un des meilleurs blogs francophones sur le rap, et il a écrit
trois autres livres au "Mot et le reste", dont l’indispensable "Rap, hip-hop" (2012)