A quelle distance sommes-nous ?

TEE (Tchamitchian, Echampard & Emler)

par Sophie Chambon le 10/04/2006

Note: 9.0    

Après un premier album en trio en 2003, sur le tout jeune label In Circum Girum, le trio de TEE (Emler Echampard Tchamitchian) récidive avec cette intrigante question "A quelle distance sommes-nous ?" qu'ils se posent à eux même, mais nous pourrions aussi nous interroger sur le sens des musiques d'aujourd'hui qui se réfèrent à l'idiome jazz.

Andy Emler à la tête d'un brillant et spectaculaire "Méga octet" avec cette paire d'as à la rythmique, nous réserve un plaisir plus raffiné en trio, installant un univers immédiatement reconnaissable. Ces trois-là ont donc bien raison d'insister et de poursuivre leur démarche esthétique, un "solo permanent à trois", entre musique savante et populaire, mais actuelle assurément. On pourrait évoquer un jazz chambré qui se joue des limitations convenues entre musique expérimentale, contemporaine et d'avant-garde : les musiciens prennent le risque de la liberté sans oublier certains repères, admettant certains dérèglements, toujours raisonnés, comme pour conserver une certaine rigueur dans ces "formes ouvertes".
Si on a déjà beaucoup glosé sur "l'art du trio", jamais complices n'ont autant pris le temps de faire entendre leur voix et le contrebassiste Claude Tchamitchian donne enfin toute sa mesure dans des passages irrésistibles, étrangement palpitants, où cette musique d'une grande fluidité, hypnotique dès l'ouverture "Musiciens miniatures", poursuit son entreprise de séduction dans ce titre qui tente, en près de quinze minutes l'impasse de la déclaration, avec ce "Quelque chose à dire". Ainsi se brosse à larges traits dans notre imaginaire, un paysage ample, dégagé avec de superbes moments d'improvisations ouvertes, traçant une voie rigoureuse et poétique entre accélérations intenses où l'on apprécie toujours autant l'énergie froide, presque rageuse d'Éric Echampard comme dans "Voyage en comptine", et la douceur insistante du piano d'Andy Emler, faussement impressionniste. Peu de pièces courtes, mais des envolées lyriques, survoltées aussi.

En près d'une heure d'une musique passionnante, drue et généreuse, des nappes de son s'étirent avec une force qui balaie tout sur leur passage jusqu'au final qui se résout dans un souffle. On se laisse faire, embarquant pour un voyage in(dé)fini, plongé dans un état de grâce que les musiciens tentent de prolonger sur scène. Car à n'en pas douter, ces musiciens méritent que l'on se déplace pour les entendre. Et pour les entendre, encore faut-il les programmer ! A bon entendeur…