Chutes too narrow

The Shins

par Damien Berdot le 20/01/2009

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Saint-Simon
Those to come


Alors que, faute de direction claire, nombre de groupes actuels (tels les Editors, par ailleurs plutôt bons) se résignent à une "new new wave", en s’habillant de noir et se complaisant dans l’exaltation de ce que Nietzsche appelait la "volonté de néant", on rêve parfois d'une musique lumineuse. Les Shins, installés dans l’Oregon mais ayant grandi au soleil du Nouveau-Mexique, offrent justement avec leur deuxième album un antidote au nihilisme (qu’on devrait prescrire en infusion quotidienne à tous ceux qui transforment la décadence en joie). Leur premier album, "Oh, inverted world", révélait déjà un sens mélodique certain, au point de faire dire à Natalie Portman, dans le film "Garden state" : "Ecoute ça, ça va changer ta vie". Quelques brumes héritées des eighties en parasitaient pourtant l’écoute, rappelant un ailleurs.

Avec "Chutes too narrow", un pas est franchi, et l’allégresse mélodico-rythmique emporte tout. On se prend à penser aux La’s. La guitare, menée par un suppôt de George Harrison, est claire comme l'eau qui orne la pochette ; la voix de James Mercer, haut perchée, a juste ce qu’il faut d’acidité dans les aigus ; le batteur, enfin, retrouve le shuffle racé des meilleurs groupes de pop. Jamais de surcharge. A ceux que cette indifférence au style pourrait inquiéter, on rétorquera que les Shins évitent la mièvrerie précisément par leur éloignement pour l’affectation : les guitares sont branchées directement dans les amplis ; et les seuls effets qui puissent ici se faire sentir, ce sont la réverb et le trémolo hérités des pionniers du rockabilly.
 
Encore faut-il passer les deux premières chansons de l’album - incontestablement les moins bonnes... "So says I" met les choses en place : il est impossible de l’écouter sans être entraîné par ce mélange de merseybeat et de power-pop américaine. "Saint-Simon" : une mélodie mid-tempo qui déploie ses méandres sur une très belle grille d'accords. C'est le sommet de l'album. Les claviers viennent colorer la palette de timbres à bon escient. La chanson s'achève sur les lignes descendantes conjuguées des chœurs et des violons : le niveau est proche de celui du canon qui clôt "God only knows" des Beach Boys (soit dit sans exagération). "Chutes too narrow" est évidemment un creuset d'influences, mais d'influences dévorées, transfigurées par la constante exaltation de la mélodie. Rien ne fait saillie puisque tout est nécessaire à la chanson. Sur "Fighting in a sack" et dans une moindre mesure sur "Turn a square", on ressent des accents garage (écouter le modèle d'économie qu'est le solo de cette dernière, à 2:10). Sur "Young pilgrims" et "Pink bullets", c'est folk : rythmiques qui claquent et arpèges qui vibrent comme l'air de grands espaces. "A call to apathy" convoque les sons de la country, avec certes l'inévitable pedal steel mais avec surtout un refrain très classieux. Cette balade d'une demi-heure seulement se termine par "Those to come", qui... ne ressemble à rien (si ce n’est peut-être à Nick Drake). Un arpège entêté, une percussion qui explose au début de chaque mesure et une mélodie morne. Magnifique conclusion à un très bel album. Tout amateur de Brian Wilson sait bien que l'allégresse n'a qu'un temps et qu'elle côtoie la mélancolie... Merci à James Mercer pour s'être aventuré dans un genre aussi ingrat : la pop sans le power.


SHINS Saint Simon (Live 2007)