Everyone who pretended to like me is gone

The Walkmen

par Jérôme Florio le 29/11/2002

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Wake up
Everyone who pretended to like me is gone
Blizzard of '96
We've been had


En cet hiver 2002, le revival rock se porte plutôt bien. Les Walkmen sont cinq jeunes new-yorkais et "Everyone who pretended to love me is gone" est leur premier disque. Ils ne sont pas nés pour autant de la dernière pluie : Paul Marroon, Walter Martin et Matt Barrick ont fait partie de Jonathan Fire Eater, groupe de rock garage débraillé et dandy. Signés par Dreamworks, épuisés par trop de pression, ils abandonnent en 1998. Aujourd'hui, ils se verraient offrir des ponts d'or... Bien décidés à garder farouchement leur indépendance, ils décident en 2000 de monter leur propre studio (Marcata Recordings), à Harlem. Ils rencontrent Pete Bauer et un chanteur, Hamilton Leithauser, et répètent le soir après la journée de boulot. La vague des poseurs néo-rock actuels devra se passer des Walkmen. Ils tracent leur propre route. Dès "They're winning", courte introduction au disque, des boucles hypnotiques de guitare traitées à la U2 tissent un tapis sonore sur lequel Leithauser pose sa voix étranglée d'adulte coincé dans un corps d'adolescent. Son chant est empreint d'un lyrisme un peu désuet, style cabaret années 30, rappelant Paul Buchanan (Blue Nile) et Randy Newman ; il chante de manière sarcastique et dégoûtée des textes obscurs et dépressifs, dont il partage l'inspiration avec Thom Yorke de Radiohead. Les Walkmen se préoccupent visiblement plus de sons que de sens : les chansons sont dépourvues de mélodies clairement identifiables au premier abord. Leur musique est en équilibre instable, à la recherche d'une forme, entre deux eaux. Sur tout le disque, la section rythmique est mixée très en avant (les cymbales, sifflantes), des guitares aux sonorités garage, noyées sous la reverb, ne prennent les devants que pour lâcher des accords incisifs et cohabitent avec un piano aux couleurs sépia. Quelques titres sont immédiatement accrocheurs, comme "Wake up" ou "We've been had", qui débute par un motif de piano entêtant rappelant une comptine. D'un autre côté, des chansons déstructurées, qui ont grandi sans tuteur, un peu de traviole. Sur "Roll down the line" ou "Stop talking", des lambeaux de clavier gelé, une batterie esseulée soutiennent le chant dans une atmosphère flottante. L'ambiance hivernale est de rigueur. Dans "Blizzard of '96" on entend les clochettes des traîneaux, un piano mélancolique est couvert de givre. Peu à peu, des guitares dissonantes viennent salir le paysage immaculé. Sur "Everyone..." la batterie évoque les battements sourds d'un cœur qui cogne contre la cage thoracique ; à la fin du morceau, des cordes fatiguées, asthmatiques meurent doucement comme les braises d'un feu qui s'éteint. Les guitares aigres sonnent comme des claquements de fouet, des décharges électriques ou des crissements de pas dans la neige. Aux coups de sang répondent de terribles gueules de bois : sur "French vacation", une rythmique martiale et des arpèges de guitare s'accordent pour nous entraîner vers le fond du gouffre. L'armée du désespoir s'avance lentement et plante son drapeau noir sur la tête du chanteur. Bien que le disque bascule à la fin dans une ambiance neurasthénique, dans un demi-sommeil où les mouvements sont lourds, les membres gourds et patauds, on est prêt à faire un bout de route avec ces fiers Walkmen qui, comme les trois gamins des rues sur la pochette, sont dans cette période incertaine où on grandit vite, incertains du lendemain, livrés à eux-mêmes. Profitons-en, c'est là que c'est le plus intéressant.